lundi 30 décembre 2013

Dimanche des Ancêtres de Dieu 
– La parabole du souper

Luc 14,16-24
De l'Explication de l'évangile de saint Luc
par le bienheureux Théophylacte, archevêque d'Ochrid et de Bulgarie

16-20. Et Jésus lui répondit : Un homme donna un grand souper, et il invita beaucoup de gens. À l'heure du souper, il envoya son serviteur dire aux conviés : Venez, car tout est déjà prêt. Mais tous unanimement se mirent à s'excuser. Le premier lui dit : J'ai acheté un champ, et je suis obligé d'aller le voir; excuse-moi, je te prie. Un autre dit : J'ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les essayer; excuse-moi, je te prie. Un autre dit : Je viens de me marier, et c'est pourquoi je ne puis aller. Puisque l'homme qui était assis avec Lui à table dit : Heureux celui qui prendra son repas dans le royaume de Dieu ! le Seigneur prend un temps assez long à lui apprendre ce que signifie festoyer avec Dieu, en disant cette parabole. 
Par un homme, le Seigneur entend son Père, l'Ami de l'homme. Chaque fois que l'Écriture évoque le pouvoir punitif de Dieu, Il est appelé un panthère, un léopard ou un ours (Os 13,7-8). Mais chaque fois qu'elle fait allusion à l'Amour de Dieu pour l'homme, Il est présenté comme un homme, comme c'est le cas ici. Puisque la parabole traite de l'extrême Amour de Dieu pour l'homme et de l'Économie divine de l'Incarnation qu'Il opéra en nous, nous rendant participants de la Chair de son Fils, la parabole appelle Dieu un homme et son Économie divine un grand Souper. C'est un souper parce que le Seigneur vint dans les derniers jours, au soir de cette ère, pour ainsi dire. Et ce souper est grand parce que grand est, en effet, comme nous le confessons, le mystère de notre salut. (I Tim 3,16) À l'heure du souper, il envoya son serviteur. Qui est ce serviteur ? Le Fils de Dieu, qui assuma la forme d'un serviteur et devint homme, et Il fut envoyé en tant qu'homme, est-il dit. Notez qu'Il ne dit pas : «un serviteur», mais au lieu de cela, employant l'article défini, le serviteur (de lui) .
Le Christ est le seul et unique Serviteur qui fût, dans sa nature humaine, parfaitement obéissant et plût à Dieu. Car le Christ plaît au Père non seulement en tant que Fils et Dieu, mais aussi en tant qu'Homme. Il est l'Unique sans péché, qui réalisa tous les décrets et commandements du Père et accomplit toute justice, et en ce sens, Il est dit de servir Dieu le Père. Lui seul peut être appelé le vrai Serviteur de Dieu. Il fut envoyé à l'heure du souper, c'est-à-dire, au temps assigné et approprié. Car il n'y avait aucun autre moment opportun pour notre salut que le règne de César Auguste, lorsque l'iniquité atteignit son sommet et la purification devenait indispensable. Exactement comme les médecins laissent éclater un abcès suppurant et malin pour libérer tout son pus malodorant, et n'appliquent qu'alors le remède, de même il était nécessaire que le péché manifestât d'abord toutes ses formes, et que le Grand Médecin appliquât alors son remède. C'est juste pour cette raison que le Seigneur attendit que le diable remplît la pleine mesure d'iniquité, et c'est alors que le Fils de Dieu prit chair pour guérir toutes formes d'iniquité par tous les aspects de sa sainte Vie. Par conséquent, Il fut envoyé à cette heure, c'est-à-dire, à cette époque convenable et opportune, dont David dit : «Ceins ton épée à ton côté, vaillant guerrier, dans ta Splendeur et ta Beauté» . L'épée ici signifie le Verbe de Dieu (Heb 4,12), tandis que les mots à ton côté indiquent sa Nativité dans la chair qui fut en beauté, c'est-à-dire, au moment juste et approprié. Il fut envoyé pour parler à ceux qui furent appelés. Qui sont ceux qui furent appelé? Peut-être cela se réfère-t-il à tous les hommes. Car Dieu a appelé tous à la connaissance de Lui-même, au moyen de l'ordre et de l'harmonie de la création visible, et au moyen de la loi naturelle. Mais ceux qui furent appelés sont aussi, de façon plus spécifique, les enfants d'Israël, qui furent appelés par la Loi et les Prophètes. En premier lieu donc, le Seigneur fut envoyé aux brebis de la maison d'Israël. (Mt 15,24) Le Seigneur disait à tous les Juifs : Venez, car tout est déjà prêt, quand Il proclama la bonne nouvelle que le royaume des cieux est proche (Mt 4,17), et au milieu de vous (Lc 17,21).
Et tous unanimement se mirent à s'excuser, c'est-à-dire, comme sur un signe. Car tous les chefs des Juifs refusèrent d'avoir Jésus comme leur roi, et ainsi ils furent trouvés indignes du souper, l'un à cause de son amour de la richesse, l'autre à cause de son amour du plaisir. L'homme qui avait acheté un champ, et celui qui avait acheté cinq paires de bœufs signifient ceux qui aiment la richesse, tandis que l'homme qui avait épousé une femme signifie ceux qui aiment le plaisir. En outre, l'homme qui avait acheté un champ signifie l'homme qui ne peut pas accepter le mystère de la foi parce qu'il est gouverné par la sagesse de ce monde. Le champ représente le monde, et en général, la nature, et l'homme qui doit aller voir son champ est celui qui voit seulement la nature, et ne peut accepter ce qui est au-delà de la nature. Donc le pharisien, par exemple, «voit son champ», c'est-à-dire, il considère seulement les lois de la nature et ne peut pas accepter qu'une vierge donne naissance à Dieu, parce que c'est au-delà de la nature. Puisqu'ils examinent ce «champ», c'est-à-dire, la nature, aucun de ceux qui se targuent de sagesse extérieure n'ont reconnu Jésus, qui renouvela la nature. L'homme qui avait acheté cinq paires de bœufs, et les essaya, représente aussi un homme qui aime le monde matériel. Il a attelé les cinq sens de l'âme aux cinq sens du corps et a transformé l'âme en chair. Pour cette raison, il se soucie seulement de la terre et ne désire pas communier au Souper raisonnable, car comme dit la Sagesse : Comment deviendrait-il sage celui qui gouverne la charrue ? «Ec 38,25). Celui qui s'attarde à cause d'une épouse est un ami du plaisir, qui s'est dévoué à la chair, partenaire de l'âme. En s'accrochant à la chair, il ne peut plaire à Dieu. Vous pouvez entendre ces choses aussi bien littéralement. Nous nous éloignons également de Dieu à cause de champs, à cause de paires de bœufs, à cause de mariages, quand nous devenons si attachés à ceux-ci qu'ils consument notre vie entière et que nous nous laissons emporter jusqu'au point de verser notre sang pour eux. Alors il n'y a pas de pensée ou de paroles divines que nous puissions pratiquer, ou même simplement comprendre.
21-24. Le serviteur, de retour, rapporta ces choses à son maître. Alors le maître de la maison irrité dit à son serviteur : Va promptement dans les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. Le serviteur dit : Maître, ce que tu as ordonné a été fait, et il y a encore de la place. Et le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et ceux que tu trouveras, contrains-les d'entrer, afin que ma maison soit remplie. Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon souper. 

Les gouverneurs des Juifs furent rejetés, et pas un seul d'eux ne crut au Christ. Et ils se vantaient même de leur malice, disant : Y a-t-il quelqu'un des chefs ou des pharisiens qui ait cru en Lui ? (Jn 7,48) Donc ces docteurs de la  loi et ces scribes, comme dit le prophète, devinrent insensés et tombèrent en disgrâce. Mais les simples parmi les Juifs sont comparés aux boiteux, aux aveugles et aux estropiés. Ce sont les insensés selon le monde, les humbles, qui furent appelés. Car la multitude s'émerveilla des paroles de grâce qui sortaient de la Bouche de Jésus, et ils se réjouissaient de son enseignement. Mais après la venue à Lui de ceux parmi les fils d'Israël, c'est-à-dire, parmi les élus, que Dieu avait prédestinés pour sa Gloire, tels que Pierre et les fils de Zébédée et les dizaines de milliers de Juifs qui crurent, la Bonté de Dieu fut déversée aussi sur les Gentils. Car ceux qui sont dans les chemins et le long des haies signifient les Gentils. Les Israélites étaient à l'intérieur de la cité, en ce qu'ils avaient reçu la Loi et hérité d'une manière de vivre civique et morale. Mais les Gentils étaient étrangers aux Testaments, et la Loi du Christ leur était étranger. Ils n'étaient pas concitoyens des saints, et ne voyageaient pas sur le seul sentier véridique, mais suivaient plutôt beaucoup de chemins d'illégalité et de grossièreté, et se trouvaient dans les haies, c'est-à-dire, dans les péchés. Car le péché est une grande haie et une cloison qui nous séparent de Dieu. Par chemins, Il entend la façon de vivre grossière des Gentils, qui les mena à tant de fausses croyances. Par haies, Il entend leur vie de péchés. Le maître ne commanda pas à son serviteur d'appeler simplement tous ceux qui sont sur les chemins et dans les haies, mais de les contraindre d'entrer, bien que chaque homme soit libre de croire ou non. Mais Il se sert du mot contraindre pour nous enseigner que c'est un signe de la grande Puissance de Dieu que les Gentils, qui avaient été dans une telle ignorance, se mirent à croire. Si le pouvoir de la prédication et la puissance de la Parole de Vérité n'avaient pas été aussi grands, comment des gens qui étaient rendus fous par le culte des idoles et pratiquaient des choses épouvantables auraient-ils pu être soudain persuadés à connaître le vrai Dieu, et à mener à bien une vie spirituelle ? Il appela cela une «contrainte», pour montrer le caractère miraculeux de leur changement. On pourrait dire que les Grecs païens ne voulaient pas quitter leurs idoles et leurs riches festins, ils furent cependant contraints de les fuir par la Vérité de l'Évangile. Aussi, le pouvoir des miracles qu'Il opérait était une forte pression qui les entraîna à se convertir à la foi en Christ. Chaque jour, ce souper est préparé et nous sommes tous invités au royaume que Dieu a préparé pour l'homme avant même la fondation du monde. Mais nous ne sommes pas dignes de ce souper – certains d'entre nous à cause de vaines rêvasseries philosophiques, d'autres à cause de l'amour des choses matérielles, encore d'autres à cause des plaisirs de la chair. Mais Dieu, dans son Amour pour l'homme, dispense gratuitement ce royaume aux autres pécheurs, aux aveugles qui n'ont pas de vision spirituelle pour percevoir la Volonté de Dieu; ou s'ils peuvent la percevoir, à ceux qui sont boiteux et incapables de faire un pas pour faire la Volonté de Dieu. En somme, Il accorde le royaume des cieux à tous les pauvres qui sont tombés loin de la Gloire d'en haut, et même aux estropiés qui ne peuvent pas manifester en eux-mêmes une vie  irréprochable. Pour inviter au Souper ces pécheurs qui vagabondent dans les rues et les larges avenues du péché, le Père envoie son Fils, devenu un Serviteur selon la chair, et qui n'est pas venu pour appeler les justes, mais les pécheurs. Tous ceux-là, Il les régale généreusement, à la place de l'habile, du riche, et de ceux qui se livrent à la chair. Par les jugements connus de Lui seul, Il envoie des maladies et des dangers à beaucoup, les amenant, même malgré eux, à renoncer à cette vie. C'est ainsi qu'Il les mène à son Souper, les «contraignant» au moyen des dangers. Il y a beaucoup d'exemples de cela. Comprise d'une façon plus simple, cette parabole nous enseigne aussi à favoriser les pauvres et les boiteux plutôt que les riches, exactement comme Il nous a exhortés à faire un peu plus tôt. (Lc 14,13-14) C'est pour cette raison qu'Il dit cette parabole, pour confirmer que nous devons donner l'hospitalité aux pauvres. Et cela nous enseigne aussi le devoir d'être si empressés et généreux à accueillir nos frères que, même s'ils sont réticents, nous devions les contraindre à participer de nos bonnes choses. C'est aussi un bon conseil pour des maîtres : enseignez ce qui est nécessaire, même si les disciples sont peu disposés.

samedi 21 décembre 2013

FÊTE DE LA CONCEPTION DE SAINTE ANNE


Il se peut que j’aie déjà écrit quelque chose sur la fête de la Conception de sainte Anne, mais comme ma mémoire me joue souvent de mauvais tours …
Cette fête se célèbre au moment où les jours commencent à rallonger et que donc la lumière reprend le dessus. C’est par la Conception que le plan du salut s’est mis en place. Le commencement du salut, par contre, a débuté lors de l’Annonciation, comme dit le tropaire : «Aujourd’hui c’est le commencement de notre salut et la manifestation du mystère éternel …»
Les pères ont donc fixé la fête de la Conception en ce temps-ci où la lumière s’accroît, afin de faire coïncider ce symbole qu’est l'accroissement de la lumière avec la réalité qu’est la Conception de la Toute-Sainte dans le sein de sainte Anne.
Voici ce que disent les textes liturgiques de la fête : «Le nouveau ciel, c'est Anne qui dans son sein le construit sur l'ordre du Dieu Créateur : de lui s'est levé le Soleil sans couchant illuminant de ses rayons divins le monde entier dans son amour du genre humain et sa miséricorde infinie.» (Matines, cathisme 1)
«En ce jour le voile est déchiré, celui qui de son ombre recouvrait la Loi; grâce et bénédiction sont prêtes à sortir, leur clarté rayonne en la proclamation du futur enfantement de la servante du Seigneur.» (Matines ode 4)
«Du salut voici qu'est affermi le fondement, la base de la grâce, c'est la présente Conception : en elle naît le merveilleux espoir des hommes qui sans cesse chantent pour le Christ : À toi bénédiction et haute gloire !» (Matines ode 7)
Réjouissons-nous donc lors de cette fête, et ne nous lançons pas vers la lumière comme des hiboux, mais comme vrais fils de la Lumière !



archimandrite Cassien

lundi 9 décembre 2013

INTRONISATION

Hier, lors des vêpres du dimanche soir (8/25 décembre) fut intronisé le nouvel archevêque, Mgr Stéphane d’Athènes, dans la cathédrale d’Ilioupolis.

mercredi 4 décembre 2013

Homélie sur l'Entrée de l'Enfantrice de Dieu au Temple

de saint Grégoire Palamas

Si un arbre est connu par son fruit, et qu'un bon arbre porte de bons fruits (Mt 7,17; Lc 6,44), alors la Mère de la Bonté elle-même, elle qui porta la Beauté éternelle, n'est-elle pas incomparablement plus excellente que tout bien, que ce soit dans ce monde ou dans celui d'en haut ? Par conséquent, l'Image coéternelle et identique de la Bonté, prééternelle, transcendant tout être, Lui qui est le Verbe préexistant et bon du Père, touché par son indicible Amour pour le genre humain et sa Compassion pour nous, S'est revêtu de notre image, afin qu'Il puisse se réapproprier pour Lui-même notre nature qui avait été entraînée de force jusqu'aux fins fonds de l'Hadès, afin de renouveler cette nature corrompue et de l'élever jusqu'aux hauts des cieux. À cet effet, Il avait dû assumer une chair qui était à la fois nouvelle et la nôtre, afin qu'Il puisse nous refaçonner à partir de nous-mêmes. Maintenant, Il trouve une servante qui convient parfaitement à ces nécessités, et qui Lui fournit sa propre nature intacte, la Toujours-Vierge que nous chantons maintenant, et dont nous célébrons aujourd'hui l'Entrée miraculeuse au Temple, dans le Saint des Saints. Dieu la prédestina avant les siècles pour le salut et la réappropriation de notre race. Elle fut choisie, non pas juste dans la foule, mais dans les rangs des élus de tous les âges, connus pour leurs piété et intelligence, ainsi que pour leurs paroles et actes agréables à Dieu.
Au commencement, il n'y en avait qu'un pour s'élever contre nous : l'auteur du mal, le serpent, qui nous entraîna dans l'abîme. Beaucoup de raisons l'incitèrent à s'élever contre nous, et il y avait de nombreux moyens par lesquels il asservit notre nature : l'envie, la rivalité, la haine, l'injustice, la perfidie, la ruse, etc. En plus de tout cela, il a aussi, en lui, le pouvoir d'apporter la mort, qu'il engendra lui-même, étant le premier à s'éloigner de la vraie vie.
L'auteur du mal était jaloux d'Adam, quand il le vit être conduit de la terre au ciel, d'où lui, il a été, à juste titre, jeté en bas. Plein d'envie, il se jeta sur Adam avec une terrible férocité, et souhaita même le revêtir de l'habit de la mort. L'envie est génératrice non  seulement de la haine, mais aussi du meurtre, que ce serpent haïssant l'homme provoqua en nous. Car il voulait être maître de ce qui est né sur terre pour la ruine de celui qui a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Puisqu'il n'était pas assez courageux pour attaquer directement, il eut recours à la ruse et à la tromperie. Cet intrigant vraiment terrible et malicieux prétendit être un ami et un conseiller utile en assumant la forme physique d'un serpent, et il parvient, hélas, en cachette, à atteindre son but. Par son conseil opposé à Dieu, il insuffle dans l'homme son propre pouvoir apportant la mort, comme un poison.
Si Adam avait été assez fort pour garder le commandement divin, il se serait montré alors vainqueur de son ennemi, et aurait résisté à sa mortelle attaque. Mais puisqu'il s'abandonna volontairement au péché, il fut vaincu et fait pécheur. Comme il est la racine de notre race, il nous a produits comme des pousses portant la mort. Ainsi, il était nécessaire pour nous, pour prendre revanche sur sa défaite et proclamer sa victoire, de nous débarrasser de ce poison mortel dans l'âme et le corps, et d'absorber la vie, éternelle et indestructible.
Il était nécessaire pour nous d'avoir une nouvelle racine pour notre race, un nouvel Adam, non pas Un qui soit simplement sans péché et invincible, mais Un qui soit capable aussi de pardonner nos péchés et de libérer du châtiment ceux qui y étaient sujets. Et qui non seulement eût la vie en Lui, mais aussi la capacité de restaurer la vie, de sorte qu'Il pût aussi accorder à ceux qui Lui sont fidèles, et qui Lui sont liés par la race, la vie et le pardon des péchés, restaurant à la vie non seulement ceux qui vinrent après Lui, mais aussi ceux qui étaient déjà morts avant Lui. Par conséquent, saint Paul, cette formidable trompette de l'Esprit saint, s'exclame : «Le premier homme, Adam, devint une âme vivante. Le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant …» (I Cor 15,45)
Dieu excepté, il n'y a personne qui soit sans péché, ou créateur de vie, ou capable de remettre le péché. Par conséquent, le nouvel Adam doit être non seulement Homme, mais aussi Dieu. Il est à la fois Vie, Sagesse, Vérité, Amour, Miséricorde, et toutes les autres bonnes choses, afin qu'Il puisse renouveler le vieil Adam et le restaurer à la vie par la miséricorde, la sagesse et la justice. Ce sont les contraires des choses que l'auteur du mal utilisa pour apporter la vieillesse et la mort.

Comme le meurtrier de l'humanité s'éleva contre nous avec envie et haine, ainsi la Source de la Vie fut élevée [sur la Croix] par sa Bonté et son Amour incommensurables pour le genre humain. Il désira intensément le salut de sa créature, c'est-à-dire que sa créature soit restaurée par Lui-même. Contrairement à cela, l'auteur du mal voulait ruiner la créature de Dieu, et par là même soumettre le genre humain à son propre pouvoir, et nous affliger de façon tyrannique. Et exactement comme il acheva la conquête et la chute du genre humain au moyen de l'injustice et de la ruse, par tromperie et sa supercherie, ainsi le Libérateur amena la défaite de l'auteur du mal et la restauration de sa propre créature par la Vérité, la Justice et la Sagesse.
C'était un acte de la justice parfaite que notre nature, qui était volontairement asservie et détruite, reprît la lutte pour la victoire et se défît de son asservissement volontaire. Par conséquent, Dieu daigna recevoir de nous notre nature, S'unissant hypostatiquement à elle d'une façon merveilleuse. Mais il était impossible d'unir cette Nature très haute, dont la pureté est incompréhensible par la raison humaine, à une nature pécheresse, avant qu'elle ne fût purifiée. Par conséquent, pour la Conception et la Naissance du Donateur de la pureté, une Vierge toute pure et parfaitement sans tache était requise.
Aujourd'hui, nous célébrons la mémoire des choses qui contribuèrent, ne serait-ce qu'une fois, à l'Incarnation. Lui qui est Dieu par nature, le Verbe et Fils de Dieu sans commencement et coéternel au Père transcendant, devient le Fils de l'homme, le Fils de la Toujours-Vierge. «Jésus Christ est le même hier, aujourd’hui, et éternellement» (Heb 13,8), immuable dans sa Divinité et irréprochable dans son Humanité, Lui seul, comme l'avait prédit le  prophète Isaïe, «ne commit point de violence et il n’y eut point de fraude dans sa Bouche.» (Is 53,9) Lui seul ne fut ni engendré dans l'iniquité, ni conçu dans le péché, contrairement à ce que dit le prophète David de lui-même et de chaque homme; (Ps 50,5) Même dans ce qu'Il assume, Il est parfaitement pur et n'a pas besoin de Se purifier. Mais pour nous, Il accepta purification, souffrance, mort et résurrection, afin qu'Il pût nous les transmettre.
Dieu est né de la sainte Vierge sans tache, ou pour mieux dire, de la très pure et toute sainte Vierge. Elle est au-dessus de toute souillure charnelle, et même de toute pensée impure. Sa conception n'était pas l'effet de la concupiscence charnelle, mais du très saint Esprit, qui la couvrit de son ombre. Un tel désir lui étant complètement étranger, c'est par la prière et la promptitude spirituelle qu'elle déclara à l'ange : «Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole» (Lc 1,38), et qu'elle conçut et enfanta. Donc pour rendre la Vierge digne de ce but sublime, Dieu marqua cette Fille toujours-vierge que nous honorons maintenant, depuis avant les siècles, et depuis l'éternité, la choisissant parmi ses élus.
Faites attention donc au moment où ce choix a commencé. Des fils d'Adam, Dieu choisit le merveilleux Seth, qui se montra un ciel vivant par son comportement seyant, et par la beauté de ses vertus. C'est pourquoi il fut choisi, et de lui, la Vierge s'épanouit comme un char divinement seyant à Dieu. Elle était requise pour enfanter et pour rassembler ceux de la terre pour la filiation céleste. Pour cette raison aussi, tout le lignage de Seth fut appelé «fils de Dieu», parce que de ce lignage un fils d'homme allait naître Fils de Dieu. Le nom Seth signifie surgissement ou  résurrection, ou, plus spécifiquement, il signifie le Seigneur qui promet et accorde la vie immortelle à tous ceux qui croient en Lui.
Et combien précisément exact est ce parallèle ! Seth naquit d'Ève, comme elle l'a dit elle-même, à la place d'Abel, que Caïn avait tué par jalousie (Gn  4,25); et Christ, le Fils de la Vierge, naquit pour nous à la place d'Adam, que l'auteur du mal avait tué également par jalousie. Seulement Seth n'a pas ressuscité Abel, puisqu'il était seulement un archétype de la résurrection. Mais notre Seigneur Jésus Christ a ressuscité Adam, puisqu'Il est la Vie même et la Résurrection de ceux qui sont nés sur la terre, pour l'amour desquels les descendants de Seth reçoivent la divine adoption en espérance, et sont appelés enfants de Dieu. C'était à cause de cette espérance qu'ils étaient appelés fils de Dieu, comme il est évident d'après l'Unique qui fut appelé ainsi le premier, le successeur dans le choix. Ce fut Énoch, le fils de Seth, qui, comme Moïse l'écrivit, commença, le premier, à invoquer le Nom du Seigneur. (Gn 4,26)
De cette manière, le choix de la future Mère de Dieu, commençant par les fils même d'Adam et continuant à travers toutes les  générations des temps, par la Providence de Dieu, passe au Roi-Prophète David et les successeurs de sa royauté et son lignage. Quand le moment choisi fut venu, alors de la maison et de la postérité de David, Joachim et Anne sont choisis par Dieu. Bien qu'ils fussent sans enfant, ils étaient, par leur vie de vertu et leur bonne disposition, les meilleurs de tous les descendants de la ligne de David, et dans leurs prières, ils supplièrent Dieu de les délivrer de leur stérilité, et promirent de Lui consacrer leur enfant dès son bas âge. C'est par Dieu Lui-même que la Mère de Dieu fut proclamée et donnée à eux comme enfant, pour que la toute-vertueuse enfant fût élevée par des parents aussi vertueux. De cette manière donc, la chasteté unie à la prière fructifia en produisant la Mère de la virginité, donnant naissance dans la chair à Celui qui naquit de Dieu le Père, avant les siècles.
Maintenant que les justes Joachim et Anne virent leur désir  accordé, et la promesse divine faite à eux réalisée dans le fait, alors eux, de leur part, comme de vrais amants de Dieu, se hâtèrent de remplir le vœu qu'ils avaient fait à Dieu, dès que l'enfant fut sevrée. Ils ont conduit alors cette enfant de Dieu véritablement sanctifiée, maintenant la Mère de Dieu, cette Vierge, au Temple de Dieu. Et elle, remplie de Dons divins dès cet âge si tendre, elle, plutôt que d'autres, détermina ce qui lui serait fait. À sa manière, elle montra qu'elle n'était pas tant présentée au Temple, mais qu'elle allait elle-même entrer au service de Dieu, de son propre accord, comme si elle eût des ailes, aspirant à cet amour sacré et divin. Elle considéra désirable et convenable qu'elle entrât au Temple et vécût dans le Saint des Saints.
Par conséquent, le grand prêtre, voyant que cette enfant, plus que d'autres, avait en elle de la divine Grâce, souhaita l'installer à l'intérieur du Saint des Saints. Il convainquit tous ceux qui étaient présents d'accueillir cela, puisque c'était Dieu qui l'avait anticipé et approuvé. Par son ange, Dieu assista la Vierge et lui envoya de la nourriture mystique, par laquelle sa nature était fortifiée, pendant que son corps arrivait à maturité et fut fait plus pur et plus exalté que les anges, ayant les esprits célestes pour serviteurs. Elle fut conduite dans le Saint des Saints, non pas seulement pour une fois, mais fut acceptée par Dieu d'y séjourner avec Lui pendant toute sa jeunesse, afin que par elle, les demeures célestes pussent être ouvertes et données comme éternelles habitations à ceux qui croient à son miraculeux enfantement.
C'est ainsi, et c'est pourquoi elle, depuis le commencement du temps, fut choisie parmi les élus. Elle qui est manifestée comme le Saint des Saints, qui a un corps plus pur même que les esprits purifiés par la vertu, est capable de recevoir le Verbe hypostatique du Père sans commencement. Aujourd'hui, la toujours-vierge Marie, comme un Trésor de Dieu, est conservée dans le Saint des Saints, afin qu'en temps voulu, (comme cela s'est passé plus tard) elle serve d'enrichissement et d'ornement au monde entier. Par conséquent, le Christ Dieu glorifie aussi sa Mère, avant la naissance comme après la naissance.
Nous qui comprenons le salut commencé pour nous par la très sainte Vierge, nous lui rendons grâce et louange selon notre capacité. Et vraiment, si la femme reconnaissante (dont nous parle l'évangile), après avoir entendu les paroles salvatrices du Seigneur, bénit et remercia sa Mère, élevant sa voix au-dessus de la clameur de la foule, disant au Christ, «Heureux le sein qui t’a porté ! heureuses les mamelles qui t’ont allaité !» (Lc 11,27), alors nous qui avons les paroles de la Vie éternelle, écrites pour nous en toutes lettres, et non seulement les paroles, mais aussi les miracles et la Passion, et la résurrection des morts de notre nature, et son ascension de la terre au ciel, la promesse de la vie immortelle et le salut inaltérable, comment ne chanterions-nous et ne bénirions-nous alors sans cesse la Mère de l'Auteur de notre salut et du Donateur de Vie, célébrant sa conception et son enfantement et maintenant son Entrée dans le Saint des Saints ?
Maintenant, frères, transportons-nous des choses terrestres aux célestes. Changeons notre chemin de la chair à l'esprit. Changeons notre désir des choses temporelles à celles qui perdurent. Méprisons les délices de la chair, qui servent à séduire notre âme et disparaissent. Désirons les dons spirituels, qui restent intacts. Détournons notre raison et notre attention des soucis terrestres et élevons-les aux demeures inaccessibles des Cieux, au Saint des Saints, où réside maintenant la Mère de Dieu.

Par conséquent, de cette manière nos chants et prières à elle trouveront accès, et ainsi par sa médiation, nous serons héritiers des biens éternels à venir, par la Grâce et l'Amour pour l'homme de Celui qui est né d'elle pour nous, notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient gloire, honneur et adoration, avec son Père sans commencement et son Esprit coéternel et créateur de vie, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen.

lundi 2 décembre 2013

UN DIEU QUI MARCHE

    Lorsque les Israélites voyaient que Moïse tardait à descendre de la montage, ils demandaient à Aaron : «Allons ! fais-nous un dieu qui marche devant nous, car ce Moïse, cet homme qui nous a fait sortir du pays d’Égypte, nous ne savons ce qu’il est devenu.» (Ex 32,1) Aaron leur fit donc un «veau en fonte» (Ibid., 4), une idole, telle les dieux des autres nations. La Colère de Dieu s’enflamma contre ce peuple «au cou raide»,  non à cause de leur demande d’avoir un dieu visible, palpable et compréhensible, mais à cause de l’idole qu'ils se sont fabriquée. 
    Des siècles après, le Seigneur-Dieu réalisa enfin cette demande en S’incarnant, en S’abaissant à notre niveau afin de nous élever au niveau de Dieu. Il est devenu un Dieu qui marche. «Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie,» dit l’apôtre Jean dans sa première lettre (I Jn 1,1)
    Le Sauveur a assumé toutes nos faiblesses et S’est chargé de nos péchés. Quand on est tombé une fois malade on sait compatir aussi avec les autres malades, tandis que Celui qui n'a jamais été malade ne sait qu’abstraitement ce qu’est la maladie. Notre Dieu n’est donc pas devenu seulement «un Dieu qui marche» mais aussi le Dieu compatissant qui a éprouvé dans sa Chair toutes nos souffrances. «Regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur, à celle dont j’ai été frappé !» (Lam 1,12) 
Celui qui «forme avec les eaux le faîte de sa demeure; prend les nuées pour son char, s’avance sur les ailes du vent,» (Ps 104,3) – images pour exprimer la Gloire et la Splendeur du Très-Haut – dans son Abaissement, «fatigué du voyage, était assis au bord du puits.» (Jn 4,6)
Qu’est-ce que le Christ aurait pu faire de plus pour nous ? Comment aurait-Il pu exprimer et montrer davantage son Amour infini pour sa créature ? «Quel Dieu est semblable à Toi, qui pardonnes l’iniquité, qui oublies les péchés du reste de ton héritage ? Il ne garde pas sa colère à toujours, car Il prend plaisir à la miséricorde.» (Michée 7,18) 
    Même si le Christ n’est plus en sa Chair, visiblement, parmi nous, Il Se fait contempler dans ses icônes et se communique dans les saintes Espèces sous forme du pain et du vin, tenant compte de nos faiblesses, en attendant son Retour glorieux, quand nous Le verrons éternellement dans son Humanité et que notre humanité sera délivrée de ses entraves et sera déifiée.


archimandrite Cassien

samedi 30 novembre 2013

arrivé en Grèce

Je suis depuis quelques jours en Grèce, après avoir passé par la Suisse où nous avons célébré la divine Liturgie le dimanche passé.

J'habite provisoirement dans une église dans le banlieue d'Athènes où j'ai célébré plus souvent autrefois, en attendant d'être nommé dans une paroisse. 
Mon téléphone  du portable :
0030 6932555438

En Christ, 
archimandrite Cassien

dimanche 24 novembre 2013

archevêque Stéphane

Samedi le 10 (23) novembre fut élu comme archevêque l'évêque Stéphane de Bresthène qui est en même temps higoumène du monastère de la Transfiguration à Kératéa.



Moi de mon côté, je suis en Suisse et nous célébrons la divine Liturgie ce matin. D'ici je continuerai sur la Grèce, plaise à Dieu. La suite, Dieu seul la sait pour le moment.

en Christ, 
archimandrite Cassien 

samedi 23 novembre 2013

SOYEZ …



Dans la vie spirituelle, souvent deux attitudes, en apparence contradictoires, se complètent et assurent un juste équilibre. Par exemple, la fermeté et la douceur sont complémentaires. La fermeté sans la douceur devient facilement dureté et la douceur seule risque de devenir mollesse. 
Dans l’évangile, le Seigneur conseille d’être «prudents comme les serpents et simples comme les colombes.» (Mt 10,16) Cette simplicité a le sens de candeur, de pureté, de douceur, d’être sans artifice, sans dol. Etre malin (comme les serpents) est une traduction inadéquate. Le sens est plutôt : avisé, vigilant, fin.
«La prudence leur fera éviter les embûches, la simplicité les garantira du mal. Notre Seigneur leur donne pour exemple la finesse du serpent, parce qu’il cache sa tête dans les replis de son corps afin de mettre à couvert le siège de sa vie. Ainsi devons-nous sauver au péril de tout notre corps notre tête, qui est Jésus Christ, c’est-à-dire nous appliquer à conserver notre foi dans toute sa pureté dans toute son intégrité.» Saint Hilaire de Poitier
Juste avant, le Christ dit : «Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups,» (Ibid., 16) ce qui donne tout le sens à ce qui suit : être prudent et simple. Le Seigneur nous a donné également l’exemple quand on voit comment il réagit en face de la ruse des Pharisiens et des Sadducéens. Combien de fois ils ont essayé de le piéger et chaque fois c’est Lui qui les a mis dans l’embarras. Par exemple, quand ils ont demandé d’où le baptême de Jean vient (Mt 21,25; Mc 11,30), à qui appartiendra la femme qui a eu sept maris (Mt 22,23-30).
Dans le monde actuel, ces deux qualités ou vertus nous sont nécessaires afin de n’être pas écrasés en face du mal qui a pris de l’ampleur, en attendant le jour où «Le loup habitera avec l’agneau,» (Is 11,6)
Cette simplicité de la colombe a servi à l’Esprit saint lors du baptême du Sauveur au Jourdain, quand l'Esprit est apparu sous la forme d’une colombe.
«La simplicité des colombes nous est révélée dans la forme sous laquelle l’Esprit saint a voulu paraître, et c’est en faisant allusion à cette vertu que l’Apôtre a dit : Soyez petits en malice.» Saint Jérôme.
Saint Jean Chrysostome dit : «De même que nous devons avoir la prudence du serpent pour éviter d’être blessés dans ce que nous avons de plus cher, ainsi devons-nous avoir la simplicité de la colombe pour ne pas opposer la vengeance à l’injustice qui nous est faite, et ne pas dresser aux autres de pernicieuses embûches.»
Donc être simple sans la prudence c’est être simplet, et prudent sans la simplicité, c’est être rusé.


archimandrite Cassien

dimanche 20 octobre 2013

Dormitions

Je viens d'apprendre que notre archevêque Nicolas vient de quitter cette vie pour une vie meilleure. Mémoire éternelle !
Le voici après sa dormition :



Le père Chrysanthe de Trikala, l'a précédé de quelques heures. 


Il est donc fort probable que j'aille en Grèce ces jours-ci.

Vôtre en Christ, 
archimandrite Cassien

jeudi 3 octobre 2013

CONSIDÉRATIONS



J’ai déjà dit, je répète et je persiste : les icônes byzantines sont peintes dans et pour l’Église. Je parle bien sûr de l’Église orthodoxe car dans les autres confessions, soi-disant chrétiennes, il n’y a tout au plus qu’une imagerie pieuse sans aucun fondement théologique. L’icône orthodoxe, par contre, a une base théologique, écrite avec du sang. L’iconoclasme a permis d’élaborer une théologie de l’icône très poussée.
L’icône fait partie d’un tout et s’harmonise avec tout l’édifice comme une pierre bien taillée. On n’a pas besoin de la retailler selon le goût du jour, sinon il n’en restera plus rien à la fin, comme on le voit dans les autres groupements chrétiens. On dit parfois que les icônes sont figées. Bien sûr toute l’Orthodoxie est figée si on suit les raisonnements de ses détracteurs. L’Orthodoxie pourtant est construite sur le roc et ce qui semble être figé n’est autre que la stabilité qui a su résister à travers les intempéries de l’histoire. Quand saint Siméon le Stylite se tenait immobile sur sa colonne, lors d’une intempérie glaciale, les gens en bas le croyaient mort. Pourtant il était ravi dans une vision de l’au-delà, et n’était, pour ainsi dire, plus de ce monde. L’Orthodoxie est dans ce monde mais n’est pas de ce monde. Elle a ses racines dans le ciel et il faut la regarder dans une perspective inversée comme parfois les bâtisses sur les icônes.
Les icônes ne sont jamais signées; tout au plus est parfois inscrit : «par la main d’un tel». C’est l’oeuvre de toute l’Église et l’iconographe n’est qu’un instrument qui exprime cette tradition qui s’est élaborée au cours des siècles, non sans souffrances, comme je dis plus haut. La même chose est valable aussi pour le chantre, le clergé, l’architecte, le théologien etc. Ils ne font que transmettre ce qu’ils ont reçu, c’est-à-dire le trésor sans prix de l’Orthodoxie. Pourtant chacun apporte sa contribution, donne un coup de marteau, jusqu’à ce que l'édifice soit achevé à la fin des temps. L’Église est toutefois déjà achevée et paradoxalement en construction, elle est toujours jeune et vieille à la fois, une jeune vierge au cheveux gris.
Une vielle icône est généralement abîmée, ternie et cependant pleine de grâce, à l’image de toute l’Orthodoxie ou du Crucifié dont le prophète a dit : «J’ai été seul à fouler au pressoir, … leur sang a jailli sur mes vêtements, et j’ai souillé tous mes habits.» (Is 63,3) Si l’icône est abîmée par la vénération, la suie, elle, a sanctifié des multitudes de fidèles qui ont prié devant elle au cours des siècles ; elle accomplit sa tâche, pour ainsi dire, pour l’édification de l’Église.
Si chacun de nous se sacrifie également pour l’Église alors il entendra se dire un jour : «Celui qui vaincra, je ferai de lui une colonne dans le temple de mon Dieu, et il n’en sortira plus; j’écrirai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la ville de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, et mon nom nouveau.» (Apo 3,12)

Archimandrite Cassien


dimanche 22 septembre 2013

ÉMU DE COMPASSION



   Pour ne pas enfouir mon talent, je me force de le faire fructifier, en écrivant quelques lignes,  pour ne pas entendre un jour le Maître me dire : «méchant serviteur …» (Lc 19,22)
   J'ai pensé plusieurs fois, ces jours-ci, au passage de l’évangile du bon Samaritain, où il est dit : «…fut ému de compassion.» (Lc 10,33) Qu’est-ce à dire : être ému de compassion ? Pourquoi le prêtre et le lévite ne furent-ils pas émus également ? Qu’est-ce que la compassion ? Autant de questions auxquelles il faudra répondre.
   Le mot compassion, compatir, compatissant  veut bien dire souffrir avec, faire sien les souffrances d’autrui. Le contraire de la compassion c’est un coeur dur et insensible qui ne s’intéresse que par curiosité aux souffrance du prochain qui succombe sur le chemin de la vie. C’est donc un sentiment, la compassion, qui est inhérent à notre nature, et non surajouté, mais que le péché a estropié, étouffé.
   Evidemment nous ne pouvons pas soulager toute la souffrance du monde, mais presser le pas, comme ce prêtre et lévite qui allaient probablement accomplir leur service au Temple, c’est mettre le secondaire à la place de l'essentiel. Ne serons-nous pas jugés sur la compassion que nous avons eu avec le prochain qui a eu faim et soif, qui était nu, malade, en prison ?
   Le Christ «voyant la foule, ... fut ému de compassion pour elle, parce qu’elle était languissante et abattue, comme des brebis qui n’ont point de berger.» (Mt 9,36). Plusieurs fois l’évangile dit du Christ qu’il fut «ému de compassion» (Mt 14,14; 15,32; 20,34; Mc 1,41; 9,22; Lc 7,13 etc)
   Du père du fils prodigue il est dit également : «Comme il (le fils) était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa.» Le père aurait pu lui faire des reproches pour avoir dissipé l’héritage et aurait pu agir comme le fils ainé, qui ne pensait qu’au matériel. Pourtant un coeur plein de compassion ne raisonne pas ainsi et essaie de couvrir les faiblesse d’autrui, songeant à ses propres faiblesses.
   Être ému (de compassion) suppose un coeur sensible (non sentimental) qui compatit même avec la souffrance des animaux, comme on voit souvent dans la vie des saints. Rester indifférent, c’est le signe d’un coeur égoïste qui est replié sur lui-même. Être juste curieux devant la souffrance en face, revient au même.
   Je sais, par expérience, que ce n’est pas facile de remplacer cette dureté de notre coeur par la compassion. C’est une tâche pour toute notre vie, et ces mots «être ému de compassion», gravitent autour de l’essentiel et si nous ne réussissons pas, cela veut dire que nous manquons l’essentiel dans la vie.
   La compassion peut s’exprimer de différentes manières : une aide matériel, une bonne parole, une prière. Si nous ne pouvons pas aider matériellement, si une parole est difficile, une prière est toujours possible en face de la souffrance et Celui que nous prions, «le Seigneur plein de miséricorde et de compassion,» (Jac 5,11) et dont les moyens sont inépuisables, saura intervenir.

Archimandrite Cassien

«En venant sur la terre, le Seigneur s’est fait notre prochain par la sincère compassion qu’il nous porte, et notre voisin par la miséricorde dont il nous comble.» saint Ambroise de Milan

samedi 14 septembre 2013

HOMÉLIE POUR LE 12e DIMANCHE DE MATTHIEU


Lecture du saint Évangile selon Matthieu (19,16-26)

En ce temps-là, un homme s'approcha de Jésus et lui dit : Bon Maître, que dois-je faire de bon pour posséder la vie éternelle ? Jésus répondit : Pourquoi dis-tu que je suis bon ? Nul n'est bon que Dieu seul ! Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. – Lesquels ? lui dit-il. – Eh bien, reprit Jésus : «Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère» et tu aimeras ton prochain comme toi-même.» Le jeune homme lui dit : Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse; que me manque-t-il encore ? Jésus lui dit : Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens, et suis-moi ! Quand il entendit ces paroles, le jeune homme s'en alla contristé, car il avait de grands biens. Jésus dit alors à ses disciples : En vérité je vous le dis, il sera difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu ! A ces mots les disciples furent très étonnés et demandèrent : Qui donc peut être sauvé ? Jésus les regarda et leur dit : C'est impossible pour les hommes, mais tout est possible pour Dieu.

Mes chers, essayons de décortiquer un peu ce dialogue, entre le Christ et ce jeune homme, que nous venons d’entendre.
Ce jeune homme posa la question : «Que dois-je faire de bon pour posséder la vie éternelle ?» Cette même question un docteur de la loi la posa également. (cf. Lc 10,25) Au jeune homme, Jésus dit d’observer la Loi. Par contre, au docteur de la loi, qui était sensé bien connaître la Loi, le Seigneur posa la question : «Qu’est-il écrit dans la Loi, qu’y lis-tu ?» Chaque fois le Seigneur s’adapta à son interlocuteur, selon les dispositions et selon la connaissance de celui-ci.
Ce jeune homme considérait Jésus comme un docteur de la Loi et non comme Dieu. C’est pour cela que le Seigneur lui dit : «Pourquoi dis-tu que je suis bon ? Nul n'est bon que Dieu seul !»
Dès sa jeunesse, ce jeune homme observait la Loi mais il sentait que quelque chose lui manquait encore, que la perfection ne consiste pas à ne pas faire ceci ou cela mais qu’elle doit consister en quelque chose de plus positif. Le docteur de la Loi a bien répondu en disant : «Tu aimeras …» et le Seigneur lui dit «Tu as bien répondu.»
Avoir «de grands biens» et ne pas faire le mal, c’est insuffisant. Ce n’est pas la perfection évangélique, qui consiste à faire de grands biens et pas seulement d’en avoir. «Donne-le aux pauvres», ces grands biens, soit miséricordieux, généreux et charitable ! Donnes-en aux pauvres – selon la disposition du coeur –, est demandé à chaque chrétien, et selon cette générosité on sera récompensé dans l’autre vie. Au jeune homme riche pourtant le Seigneur ne dit pas : Donnes-en, mais donne-le, c’est-à-dire donne tout. «Si tu veux,» donc un conseil et non une obligation. Etre charitable envers le prochain, c’est une obligation et nous seront jugés sur cela : «J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger,» (Mt 25,42) etc. Etre parfait, nous est conseillé. «Soyez donc parfait comme votre Père est céleste.» (Mt 5,48) Dieu nous le demande mais ne nous y oblige pas. Pour «entrer dans la vie», il suffit d’observer les commandements, mais pour être parfait, il nous est demandé de nous séparer des richesses terrestres, non qu’elles soient mauvaises en eux-mêmes mais à cause de notre faiblesse morale. Quand nous seront arrivés au niveau spirituel de l’apôtre Paul, alors nous pourrons dire aussi : «Je sais vivre dans l’humiliation, et je sais vivre dans l’abondance. En tout et partout j’ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l’abondance et à être dans la disette. Je puis tout par celui qui me fortifie.» (Phil 4,12-13) Pour y arriver, il faut passer par le sacrifice, car notre coeur est attaché à ces richesses et la tristesse nous accable dès que nous en perdons quelque chose, comme ce jeune homme riche. Y arriver sans le renoncement est «impossible pour les hommes», comme dit l’évangile et seule la Miséricorde de Dieu peut y suppléer. C’est pour cela qu'au Dernier Jugement, seule cette Miséricorde peut nous sauver, si nous ne sommes pas arrivés à la perfection ici-bas, qui demande également l’aide de Dieu. Encore une fois, ce n’est pas la richesse en elle-même qui est une entrave mais notre attachement passionnel, notre coeur vicié.
«Puis viens, et suis-moi,» dit le Seigneur au jeune homme, comme aux apôtres. «Jésus vit un homme assis au lieu des péages, et qui s’appelait Matthieu. Il lui dit : Suis-moi !» (Mt 9,9) Il nous est demandé, à notre tour, de suivre spirituellement le Christ, et cela suppose de porter la croix, qui consiste au renoncement à nos passions, que le renoncement matériel facilite, et, que la richesse entrave, comme nous venons de dire.
Je m’explique un peu maladroitement sur ces choses si simples, mais votre sagacité saura saisir ce que je veux dire.

Archimandrite Cassien


N'avez-vous pas le courage de rester vierge, il vous est permis de vous marier. 
Ne pouvez-vous vous priver de toute fortune, il vous est permis de la garder, 
pourvu que vous en fassiez part aux pauvres.

Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur l’épître aux Philippiens)

samedi 7 septembre 2013

HOMÉLIE SUR LE 11e DIMANCHE DE MATTHIEU



«Le Seigneur dit cette parabole : Le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. L'opération commencée, on lui amena un homme qui lui devait dix mille talents. Comme il n’avait pas de quoi payer, son maître ordonna qu’on le vendît, lui, sa femme, ses enfants et tout ce qu'il avait, pour acquitter sa dette. Le serviteur, se jetant à ses pieds, le conjurait en disant : Seigneur, aie patience envers moi et je te paierai tout. Touché de compassion, le maître de ce serviteur le relâcha et lui fit remise de sa dette. Le serviteur, à peine sorti, rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent deniers. Le saisissant à la gorge, il l'étouffait en disant : Paie ce que tu dois ! Son compagnon, se jetant à ses pieds, le conjurait en disant : Aie patience envers moi et je te paierai tout. Mais lui, sans vouloir l'entendre, s'en alla et le fit mettre en prison jusqu'à ce qu'il payât ce qu'il devait. Voyant cela, les autres serviteurs en furent tout contristés, et ils vinrent raconter à leur maître ce qui s'était passé. Alors le maître l'appela et lui dit : Serviteur méchant, je t'avais remis toute ta dette, parce que tu m'en avais supplié. Ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon, comme j'ai eu pitié de toi ? Et son maître irrité le livra aux exécuteurs, jusqu'à ce qu'il eût payé tout ce qu'il devait. Ainsi vous traitera mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond de son cœur.» (Matthieu 18,23-35)

«Le royaume des cieux est semblable». Semblable ne veut pas dire égal, car il reste toujours des différences entre la parabole et la réalité visée, – le Royaume de Dieu. Le Seigneur se sert souvent des paraboles car «afin de graver plus facilement dans l’esprit des auditeurs, à l’aide de comparaisons et d’exemples, le précepte qu’ils ne pourraient retenir s’il était présenté dans sa simplicité.» (Saint Jérôme)
Ce roi du parabole est l’image du Seigneur, le Roi des rois. Les royaumes terrestres ne sont qu’un pâle reflet de son Royaume qu’il a «promis à ceux qui l’aiment.» (Jac 2,5)
Ce roi voulut «régler ses comptes avec ses serviteurs». Ces serviteurs ne sont rien d’autres que nous, les pauvres pécheurs, qui manquons sans cesse à nos devoirs et qui dilapidons nos talents qui nous sont octroyés afin de le fructifier, comme un autre parabole indique bien. Nous sommes libres dans cette vie, de faire avec ce que Dieu nous a donné – notre corps et notre âme, la nature – mais cela ne reste pas sans conséquence, si nous transgressons les lois qu’Il nous a donné pour notre bien.
Un de ces dons c’est la miséricorde et l’amour du prochain qui sont visées dans ce parabole. Si nous ne nous servons pas de ces grâces et n’ayons que mépris, dureté et indifférence envers le prochain, le prix en sera bien cher car le Seigneur nous traitera de même dès cette vie et éternellement dans l’autre. 
Offenser un roi est mille fois plus grave que offenser un compagnons, un co-serviteur c’est-à-dire notre prochain, c’est pour cela la différence des sommes de la parabole : dix mille talents et cent deniers. Dans d’autres termes, les péchés que nous commettons envers Dieu et le tort que le prochain nous a fait sont sans comparaison.
La parabole gravit autour du pardon. Il nous est demandé de pardonner, non seulement des lèvres mais «du fond de son cœur.»
«Voyez l’excès de l’amour de Dieu : le serviteur demande un simple délai; son maître lui accorde bien plus qu’il ne demande : il lui fait remise entière et absolue de tout ce qu’il lui devait.» Saint Jean Chrysostome. (hom. 61) «Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux,» dit l’évangile (Lc 6,36)
Est-ce que nous aurons jamais la possibilité de rendre ce que Dieu nous a donné ? Bien moins encore que ce serviteur ingrate. Si pourtant nous pardonnons «aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi.» (Mt 6,14) Donc rien de plus facile que de régler nos dettes : pardonnons et il nous sera pardonné. C’est cela le principal message de ce dimanche.
Nous exigeons un compte exacte du prochain. Où est la compassion, l’indulgence et la générosité ? N’existent-t-il pas mille circonstances atténuantes à invoquer : fatigue, malentendu, chagrin, souffrance etc. Nous de notre côté, nous voulons toujours que Dieu et le prochain nous pardonnent. 
Quoi dire de plus sur cette parabole dont le message est si simple et sans équivoque ? Il n’y a pas «oui mais.» Notre liberté est sans entraves pour pardonner.

Archimandrite Cassien

dimanche 28 juillet 2013

DÎMES ET PRÉMICES


Vu mon devoir de prêcher la bonne parole, et vu la disette actuelle de cette bonne parole, je me force, une fois de plus, à écrire quelques mots, comptant sur votre indulgence. On prêche certes encore la bonne parole, mais à la façon des faux prophètes qui ne parlent que de paix et de sécurité.
Dans l’évangile, il est par deux fois question de l’impôt (tribut). Une fois, les hérodiens demandèrent au Christ, pour l’éprouver, s’il fallait payer le tribut à Cesar ou non. Connaissant leur fourberie, le Seigneur leur répliqua : «Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.» (Mt 22,21)
Puisque le chrétien a un pied sur terre et l’autre au ciel, – sa vraie patrie, – il doit s’occuper aussi de ce qui est terrestre : suivre l’école, gagner son pain à la sueur de son front, payer l’impôt et le reste. Il est dans ce monde même s’il n’est pas de ce monde.
  Lorsque vous entendez le Sauveur déclarer qu’il faut rendre à César ce qui est à César, comprenez qu’il n’a voulu parler que de ce qui ne peut nuire en rien à la religion, car, s’il en était autrement, ce ne serait plus le tribut de César, mais le tribut du démon. Pour leur ôter ensuite tout prétexte de dire : Vous nous soumettez donc tout entier à la puissance des hommes, il ajoute : «Et à Dieu ce qui est à Dieu.» Saint Jean Chrysostome. (hom. 70)
Une autre fois, on demanda au Christ de payer l’impôt. Pour ne pas scandaliser, le Maître fit payer l’impôt bien que cet impôt ne soit dû que par les étrangers. (cf. Mt 17,24-27).
L’apôtre Paul parle dans le même sens : «Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience. C’est aussi pour cela que vous payez les impôts. Car les magistrats sont des ministres de Dieu entièrement appliqués à cette fonction. Rendez à tous ce qui leur est dû : l’impôt à qui vous devez l’impôt, le tribut à qui vous devez le tribut, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur.» (Rom 13,5-7)
Dans l’Ancien Testament, les Juifs devaient déjà payer l’impôt chaque fois qu’ils étaient dominés par une puissance étrangère. (voir Ez 4,20 et 7,24). Quand le peuple juif était libre et vivait sous la Théocratie, il offrait la dîme et les prémices. (la dîme c’est le dixième du revenue et les prémices les premiers fruits de la récolte). Déjà Abraham offrait à Melchisédek la dîme : «Et Abram lui donna la dîme de tout.» (Gen 14,18)
Abel et Caïn offraient les prémices de leur travail au Seigneur (Gen 4,4). Pourtant l’offrande de Caïn, qui n’était pas pur, fut rejetée par Dieu. 
Nos prémices spirituels, par exemple, la prière du matin. Si elle n’est pas sans tache et sans tare, mais faite seulement marginalement, à la hâte, pour ainsi dire par contrainte, parce qu’il faut le faire, sera rejetée également. Et si nous ne donnons ce qui reste au Seigneur, – s’il en reste,– je crains que cela ne sera pas agréable au Seigneur non plus, comme le sacrifice de Caïn. Voilà la leçon à tirer de tout ce que je viens de dire. 
Une autre fois je parlerai peut-être de la piété, qui est soeur de la crainte de Dieu, qui est, elle, fille de la foi.

Archimandrite Cassien

samedi 6 juillet 2013

REFLEXIONS


A bâtons rompus, je livre quelques réflexions qui me viennent à l’esprit, réflexions qui ne sont pas fortuites mais peut-être les seules qui comptent dans cette vie, ou au moins les plus importantes. 

«Quand vous entrez dans une hôtellerie, vous occupez-vous de l'embellir, je vous le demande ? Nullement; vous mangez, vous buvez, puis vous reprenez votre voyage. Ici-bas, c'est l'hôtellerie. Nous y sommes entrés, le temps de la vie s'achève; tâchons d'en sortir avec une légitime espérance, ne laissons rien derrière nous, ce serait une perte pour l'avenir.» (saint Jean Chrysostome, seconde homélie sur Eutrope)

Pour toi, qui te hâtes vers la patrie céleste,… (Règle de saint Benoît, chapitre 73). Dans cette image nous voyons le voyageur qui presse ses pas afin d’arriver dans la ville avant que les portes ne se ferment à la tombée de la nuit. Aujourd’hui cette image est dépassée car les villes n’ont plus de portes qui se ferment le soir; seuls nos monastères ferment encore au coucher du soleil. Dans notre vie c’est bien pire encore car nous ne savons quand notre pèlerinage s’achève et la mort nous surprendra. Nous ne sommes donc pas seulement passagers dans cette vie terrestre, mais il faudra aussi se hâter.
Il y a aussi l’image du voyageur qui a chargé son sac à dos plein de victuailles, et au fur et mesure qu’il avance, le sac se vide. Ainsi tous nos rêves s’évanouissent avec l’âge, comme un brouillard, quand nous arriverons au terme de notre vie. Les forces s'épuisent et les maladies s’installent, tel ce voyageur qui arrive épuisé à la fin de son parcours. Et qu’est-ce que nous amènerons finalement avec nous dans l’autre vie ? Maisons, argent, diplômes ? Rien ! Il faudra même quitter nos proches. L’évangile dit : «Insensé, ces choses que tu as préparées, pour qui seront-elles ? Cette nuit même, on va te redemander ton âme.» (Lc 12,20)
Qu’est-ce que nous pouvons finalement amener dans l’autre vie ? Ne sont-ce pas les fruits de nos bonnes oeuvres (prières, aumône, jeûne etc.); dans d’autres termes une âme ornée des vertus ?
Tel le voyageur qui voit défiler le paysage, ainsi nos problèmes d’aujourd’hui dans peu auront perdu de leur importance et auront fait place à d’autres. Ainsi sera toute notre vie ici-bas. Pourtant à travers ces problèmes il faudra avancer spirituellement et ce sont eux précisément qui devraient nous aider au lieu d’être cause d’obstacles. À nous de voir qu’ils soient tombe ou trésor, perte ou gain. Ils nous aiguillonnent afin de nous faire avancer et à empêcher de nous installer dans cette vie.
Est-ce qu’on construit une maison sans faire d’abord un plan, envisager les dépenses, les possibilités etc. ? Dans notre vie il faudra faire de même et tout faire concorder vers le but final. Est-ce qu’on construit un mur qui ne s’accorde pas avec l’ensemble de la construction ? Mêmement il faut que tout dans notre vie concoure, s’harmonise avec l’ensemble, le but final. 
Dans l’iconographie, souvent les bâtisses sont alogiques si on regarde d’un point de vue purement matériel, mais si on regarde de l’autre côté, du côté divin, tout a un sens et s’harmonise. Dans notre vie, c’est la même chose : ce qui semble n’avoir pas de sens, être négatif, vu du côté de de la foi trouve son plein sens.
Je termine ces réflexions, «car l'important n'est pas que je vous dise beaucoup de choses, mais que vous reteniez ce que je vous dis.» (Saint Jean Chrysostome, homélie sur la Génèse 13)
Archimandrite Cassien

samedi 29 juin 2013

HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DE TOUSSAINT


    Pourquoi l’Église célèbre le dimanche après Pentecôte la fête de Toussaint ? La réponse est toute simple. Avec Pentecôte, l’économie de notre salut s’achève. Par sa mort et sa résurrection, le Christ nous a sauvé et l’Esprit saint nous sanctifie par sa venue. Ce sont donc les fruits de cette économie que nous célébrons aujourd’hui.
    L’Église ne «fait» pas des saints mais constate et certifie que tel ou tel chrétien l’est devenu. Dès ce moment nous pouvons, avec assurance, vénérer ce saint qui est généralement déjà vénéré avant que l’Église le proclame saint. Evidement l’Église n’a pas proclamé tous les saints. Quand l’Église proclame un saint on ne prie plus pour lui, pour son salut, mais on le prie pour notre salut. Il y a bien sûr des saints que Dieu seul connaît. Ceux qui sont proclamés saint le sont pour notre édification et la proclamation ne change rien à leur sainteté.
    Qu’est-ce qu’un saint ? Rien d’autre qu’un chrétien qui a vécu à fond ce que le Christ nous demande dans l’évangile, – la déification, dans d’autres termes, être uni à Dieu, devenir le temple de l’Esprit saint. Notre personne, morte spirituellement par les péchés, devient vivante comme le fer sous l’action du feu. Le fer reste entièrement fer mais il devient maniable, lumineux, chaud, etc. Et nous, nous gardons entièrement notre personnalité mais elle se transfigure, devient à ce qu’elle est appelé dès l’origine : dieu par adoption.
    Cette lumière transfigurante se voit parfois chez les saints, comme pour le Christ au Mont Thabor, ou Moïse qui se cachait le visage, («les fils d’Israël ne pouvaient fixer les regards sur le visage de Moïse, à cause de la gloire de son visage» [II Cor 3,7]), saint Séraphim de Sarov, abba Sisoès et tant d’autres.
    Il y a des saints de toute catégorie : hommes et femmes, enfants et vieillards, riches et pauvres; de tous âges et nations. Personne n’est exclu, tous nous sommes appelés à la sainteté, en quoi consiste notre vrai accomplissement.
    De même, il y a des saints de tous genres : martyrs, clergés, moines, prophètes, laïcs, anagyres etc. Evidemment aussi les saints anges mais qui ne sont pas vénérés aujourd’hui lors de cette fête. Ils se réjouissent pourtant avec nous, car les saints sont devenus des anges dans la chair et comblent le vide que les anges déchus ont laissé. La sainteté n’est pas non plus identique chez les saints, car comme une étoile diffère en éclat de l’autre, ainsi diffère un saint de l’autre.
    Qui est appelé à devenir saint ? Nous tous ! «Devenez saints comme Dieu est saint,» dit l’Ecriture quelque part. Si nous ne le devenons pas, alors il ne nous reste qu’à espérer que le Seigneur nous fasse miséricorde lors du dernier Jugement quand il viendra juger les vivants et les morts.
    Qu’est-ce qui nous empêche de devenir saint ? Notre volonté mauvaise et rien d’autre ! Nos péchés et passions nous conditionnent et parfois le contexte ou le malin mais ils ne peuvent nous empêcher. Pourquoi une fois nous faisons le mal et une autre fois nous nous opposons ? C’est le mystère de notre liberté qui joue, mais sans cette liberté il ne peut y avoir d’amour qui suppose la liberté – liberté bien redoutable. Que Dieu nous prenne en pitié et les saints également, eux qui ont dû éprouver les mêmes difficultés et qui ont dû marcher sur le même chemin !

Archimandrite Cassien
   

dimanche 23 juin 2013

HOMÉLIE POUR PENTECÔTE

Aujourd’hui s’est accomplie la promesse du Christ, de nous envoyer l’Esprit saint, qui procède du Père, et, qui nous induira dans toute la vérité. Le Seigneur nous a sauvés, par sa mort et sa résurrection, et le saint Esprit nous sanctifie et achève ainsi l’oeuvre de notre salut.
Cinquante jours après Pâque a lieu Pentecôte, et dix jours après l'Ascension du Sauveur.
    Que s’est-il passé exactement à Pentecôte ? Les Actes des Apôtres nous le relatent. Alors que les apôtres étaient tous ensemble dans le même lieu, «il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer.» (Ac 2,2-3) Le saint Esprit se montra donc sous la forme de langues de feu. Non qu’il soit un feu matériel, pas plus qu’une colombe, mais il se rendit visible ainsi, étant pur esprit qui ne peut être vu ni dans cette vie ni dans l’autre, et pas plus que le Père. Seul le Christ, dans son humanité, en qui habite toute la divinité, peut être vu.
    Les apôtres parlèrent en différents langues. Ce n’était pas le but mais un moyen pour amener ceux de bonne volonté à la foi. Notre but n’est pas d'acquérir des charismes (parler en langues, prophétiser, faire des miracles etc.) mais de nous sanctifier. Les charismes ne servent qu’à édifier les autres et les amener à la foi.
    Ceux qui étaient de mauvaise foi accusaient les apôtres d’être ivres. «D’autres se moquaient, et disaient : Ils sont pleins de vin doux.» (Ac 2,13) Quand on est ivre, on ne parle pas dans d’autres langues mais on dit n’importe quoi comme les athées dont le raisonnement est obscurci.
    Ensuite Pierre adressa la parole à ceux qui étaient assemblés et leur expliqua les merveilles de Dieu. «Ceux qui acceptèrent sa parole furent baptisés; et, en ce jour-là, le nombre des disciples s’augmenta d’environ trois mille âmes.» (Ac 2,41)
    «À quelle époque de l'année se célébrait la fête de la Pentecôte ? Au moment de mettre la faux dans la moisson, et de recueillir le froment; telle est la figure, et voici la vérité.» (saint Jean Chrysostome, 3ème homélie sur la Pentecôte) Sept semaines après la fête des azymes, les juifs célébraient la fête des récoltes. Les chrétiens fêtent également Pentecôte sept semaines après Pâque. La Pentecôte juive n’était que la figure de ce qui devait arriver lors de la venue du Messie.
    «Tu observeras la fête de la moisson, des prémices de ton travail, de ce que tu auras semé dans les champs; et la fête de la récolte, à la fin de l’année, quand tu recueilleras des champs le fruit de ton travail,» fut-t-il dit aux juifs (Ex 23,16) Eux offraient les fruits de leur moisson. À nous d’offrir des fruits spirituels ! Si nous nous présentons, dans l’autre vie, les mains vides devant le Seigneur, nous allons être punis comme ce mauvais serviteur qui avait enfoui son talent par crainte de son maître. À nous donc de travailler dans cette vie afin de pouvoir offrir à notre Maître de nombreux fruits spirituels ! C’est en cela que consiste notre tâche essentielle dans cette vie. Le reste n’est qu'accessoire et passager.
    Voilà quelques mots brefs mais suffisants lors de cette grande fête; à vous de les ruminer !

Archimandrite Cassien

mardi 11 juin 2013

«INVENTAIRE»

Le Christ parle de la parabole de la brebis perdue et des 99 brebis qu’il a laissées pour aller à la recherche de l’égarée. À notre époque, il me semble, la situation s’est bien renversée et il y a plutôt 99 de perdues et tout au plus une qui est restée dans la bergerie où elle est protégée du loup.
Quand je pense à tous ceux qui étaient avec nous mais qui n’étaient finalement pas des nôtres, et qui ont suivi leurs convoitises ! Comme dit l’apôtre Jean : «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres; car s’ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous, mais cela est arrivé afin qu’il fût manifeste que tous ne sont pas des nôtres.» (I Jn 2,19)
Ces jours-ci, j’ai entendu quelqu’un – qui se dit et veut chrétien – dire qu’il n’accepte pas tout ce qui est écrit dans l’évangile. C’est-à-dire qu’il se place au-dessus de l’évangile et fait des tris selon ses raisonnements, bien sûr sans expérience spirituelle ni formation théologique.
«Vous qui, dans l’Évangile, croyez en ce qui vous plaît et ne croyez pas en ce qui vous déplaît, vous croyez plus en vous-mêmes qu’en l’Évangile». (bienheureux Augustin)
«Mais, quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?» (Lc 18,8) Certes il trouvera encore la foi mais la foi dans l’homme, et, quand le moment sera venu, dans l’Antichrist. Ce sera alors le «petit troupeau,» dont parle l’évangile. (Lc 12,32)
«Dans les derniers jours, il viendra des moqueurs avec leurs railleries, marchant selon leurs propres convoitises,» dit l’apôtre Pierre (II Pi 3,3)
Pourquoi cette situation apostatique ? «Parce que l’iniquité se sera accrue, la charité du plus grand nombre se refroidira.» (Mt 24,12) L’apôtre continue : «Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé.»
Je laisse de côté la piste de l’apostasie, – le pourquoi et le comment –, et me tourne vers ceux qui gardent la foi pure, qui acceptent les bornes que nos pères ont posé et les lois que l’Église a instituées afin de les protéger face à celui qui «rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer.» (I Pi 5,8) «Soyez sobres, veillez,» dit l’apôtre juste avant. C’est le moment de la grande tentation, dont parlent nos pères, et ceux qui résistent seront plus grands que ceux du temps passé, malgré leurs oeuvres faibles. Cette tentation est contre la foi et le Seigneur est indulgent concernant «la part du feu» que constituent nos jeûnes mitigés, nos métanies oubliées nos  faibles prières, etc.
Comme le Christ, portons notre croix, – notre lot de souffrances, – et ne nous laissons pas intimider ni détourner de notre chemin de croix par la populace, qui criait autrefois «crucifie-le» et qui se moque aujourd’hui de notre foi, de notre tradition, de notre façon de nous vêtir, etc.
Pourquoi j’écris ces lignes ? Dans l’espoir qu’une brebis perdue, en les lisant, retrouve la bergerie, et pour encourager ceux qui tiennent bon — tant bien que mal. Mieux vaut chanceler sur le chemin étroit et serré que ramper sur le chemin large et spacieux !
Heureux ceux «qui sèment dans les larmes, ils moissonneront dans l’allégresse !» (Ps 126,5)
Archimandrite Cassien