dimanche 30 septembre 2018

LE JUGE INIQUE

Jésus leur adressa une parabole, pour montrer qu'il faut toujours prier, et ne point se relâcher. Il dit : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait point Dieu et qui n'avait d'égard pour personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : Fais-moi justice de ma partie adverse. Pendant longtemps il refusa. Mais ensuite il dit en lui-même : Quoique je ne craigne point Dieu et que je n'aie d'égard pour personne, néanmoins, parce que cette veuve m'importune, je lui ferai justice, afin qu'elle ne vienne pas sans cesse me rompre la tête. Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit le juge inique. Et Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus, qui crient à lui jour et nuit, et tardera-t-il à leur égard ? Je vous le dis, il leur fera promptement justice. Mais, quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? (Luc 18,1-8)

Depuis quelque temps me trotte dans la tête la parabole de la veuve et du juge inique. Il s’agit bien d’une parabole et non d’un fait concret. Cela ne veut pas dire que dans cette vie de pareils faits ne puissent arriver, comme pour d’autres paraboles, – par exemple, la femme qui a perdu une drachme et l’a retrouvée, ou le levain qui fait monter toute la pâte. 
Il s’agit bien d’une veuve, donc de quelqu’un qui est sans ressource et sans personne pour l’aider. Elle savait certainement que ce juge était inique, injuste, car de pareils faits se savent. Elle avait pourtant une fois sans faille et par sa persévérance et son insistance elle en vint à bout. Que ce fut bien sa foi qui agit, la fin de la parabole le montre clairement : «Mais, quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?» Contre tout espoir d’une issue favorable, elle avait cru. 
De l’autre côté, il y a ce juge inique et injuste. Il ne s'intéresse ni aux autres, ni à la justice, et moins encore à Dieu. Ce n’est que pour avoir la tranquillité et éviter les problèmes qu’il finit par rendre justice à cette femme en détresse. Une autre parabole y est comparable :
«Le Christ dit encore : Si l’un de vous a un ami, et qu’il aille le trouver au milieu de la nuit pour lui dire : Ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir, et si, de l’intérieur de sa maison, cet ami lui répond : Ne m’importune pas, la porte est déjà fermée, mes enfants et moi sommes au lit, je ne puis me lever pour te donner des pains, – je vous le dis, même s’il ne se levait pas pour les lui donner parce que c’est son ami, il se lèverait à cause de son importunité et lui donnerait tout ce dont il a besoin. Et moi, je vous dis : Demandez, et l’on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe. (Luc 11,5-10)
Ce qui est admirable dans cette parabole du juge impie c’est que le Seigneur se laisse comparer à un juge injuste, lui le juste Juge, lui qui n’est pas indifférent à nos besoins et qui nous aime tant. Il n’a rien de commun avec ce juge inique. C’est plutôt nous qui lui ressemblons avec notre indifférence à l’égard du prochain en détresse.
Ce que la parabole veut mettre en relief, c’est la persévérance et l’insistance avec laquelle il faut prier.
Saint Jean Chrysostome dit : «Celui qui vous a racheté vous enseigne ici ce que vous devez faire. Il ne veut point que vous cessiez de prier, il veut que vous méditiez les bienfaits qui sont l’objet de votre prière, il veut que vous soyez redevable à la prière des grâces que sa bonté désire vous accorder. Comment pourrait-il ne pas exaucer les prières qu’on lui adresse, alors qu’il nous presse par sa miséricorde, de rendre notre prière continuelle ?»
Le vénérable Augustin écrit de son côté : «Les instances persévérantes de cette femme triomphèrent de ce juge d’iniquité et le déterminèrent à lui accorder ce qu’elle demandait : «Mais enfin il dit à lui-même : Quoique je ne craigne pas Dieu, et que je me soucie peu des hommes,» etc. Quelle certitude bien plus grande doivent avoir ceux qui prient avec persévérance le Dieu, qui est la source de la justice et de la miséricorde ? «Vous entendez, ajouta le Seigneur, ce que dit ce juge inique.»  (Quest. évang.)
«Si la persévérance de cette femme a pu fléchir ce juge pétri de tous les crimes, combien plus facilement nos prières pourront-elles fléchir en notre faveur le Dieu de toute miséricorde. «Et Dieu ne vengerait pas bientôt ses élus qui, jour et nuit, crient vers lui, et il différerait de les secourir ? Je vous le dis, il les vengera bientôt.» (Théophilacte)
Il faut donc prier avec persévérance. Pourtant le problème n’est pas résolu. Comment prier avec persévérance ? C’est une vertu qui, comme la patience et l’endurance, ne nous est malheureusement pas innée, et pour laquelle il faut faire un effort.
Encore un aspect dans cette parabole qui doit attirer notre attention : Qui est notre adversaire ? Il y a beaucoup de problèmes dans notre vie qui ne trouvent pas de solutions sans l’aide de Dieu et derrière lesquels se cache le Malin qui cherche à nous entraver sur notre chemin. 
Ce juge inique et le Malin se trouvent du même côté, sous la même couverture et peu d’espoir donc de gagner le procès. En s’adressant pourtant à la plus haute instance dans la prière, au juste Juge, il nous rendra justice. C’est dans la prière que se trouve la clé de tous nos problèmes, une prière pleine de foi, sans douter d’être exaucé.
Si Dieu tarde à nous rendre justice, adressons-nous à la Toute Sainte, celle qui est du «Juge l’apaisement et l’étole de ceux qui sont dénués du droit d’appel, l’avocat de ceux qui sont sans recours,» comme nous prions dans les petits Complies. 
En plus, nous avons comme intercesseurs autant de saints qui, eux, ont vaincu l’Adversaire et qui ont acquis de la familiarité auprès du Seigneur.


a. Cassien

lundi 17 septembre 2018

HOMÉLIE SUR LA FEMME CANANÉENNE



En ce temps-là, Jésus s’en alla dans la région de Tyr et de Sidon. Et voici qu'une femme de cette contrée, une Cananéenne, sortit et se mit à lui crier : Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David : ma fille est tourmentée cruellement par un démon ! Mais Jésus ne lui répondit pas un mot. Ses disciples, s'approchant, le priaient en disant : Donne-lui satisfaction, car elle nous poursuit de ses cris ! Alors il répondit : Je n'ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël ! Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : Seigneur, viens à mon secours ! Il lui répondit : Ce n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens ! Mais elle dit : Pourtant, Seigneur, les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ! Alors Jésus lui répondit : Ô femme, grande est ta foi ! Qu'il t'advienne selon ton désir ! Et à l'heure même sa fille fut guérie. (Mt 15,21-28)

«Personne ne doit, par négligence, tenir cachées les paroles de Dieu, mais on doit confesser sa faiblesse et, en même temps, ne pas cacher la vérité de Dieu, sinon nous serons coupables d'avoir transgressé ses commandements. Ne dissimulons pas la Parole de Dieu, mais faisons-la connaître. Les saintes Ecritures et les paroles des saints Pères sont aussi nombreuses que les grains de sable de la mer; les scrutant inlassablement, nous les enseignons à ceux qui viennent à nous et qui en ont besoin. Plus exactement, ce n'est pas nous qui enseignons, car nous ne sommes pas dignes de le faire, mais ce sont les saints Pères qui le font à partir de la sainte Ecriture.» (saint Nil de la Sora)

Si j’ai bonne souvenance, j’avais déjà écrit sur cet épisode de l’évangile, mais je ne me rappelle plus exactement quoi — vous non plus d’ailleurs, je pense. De toute façon, l’évangile est une source inépuisable et on y trouve toujours des aspects nouveaux à méditer.
Le Seigneur dit à cette pauvrette : «Je n'ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël !» Pourtant il est venu sur terre pour sauver toute l’humanité. Il ne se contredit pas, bien sûr, car c’est à travers les apôtres et leurs successeurs qu’il réalise cette tâche. Lui-même, sur terre, se concentra sur l’ex-peuple élu et ce n’est qu’exceptionnellement qu’il aida des non-juifs comme la Samaritaine, le centurion etc.
«Jésus s’en alla dans la région de Tyr et de Sidon.» Cette région ne fit jamais partie de la Terre sainte – d’Israël.  Le prophète Élie alla autrefois à Sidon chez cette femme de Sarepta qui devait le nourrir. (cf. I R 17,9) Le Christ parla aussi de Tyr et Sidon : «C’est pourquoi je vous le dis : au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous.» (Mt 11,22) C’est de cette région (la Phénicie) qu’était originaire cette femme cananéenne. 
Pourquoi donc le Sauveur alla dans cette région, s’il n’était venu que pour les Juifs ? Il était venu pour les vrais juifs, ceux qui ne le sont pas seulement selon la chair mais selon l’esprit. «Ô femme, grande est ta foi !» s’exclama-t-il. 
«Ce n’est point sans doute par orgueil, comme les pharisiens; ce n’est point par arrogance, comme les scribes, mais pour ne point paraître contredire cet ordre qu’il avait donné : «Vous n’irez point vers les nations.» Il ne voulait pas donner lieu à la calomnie et il réservait aux temps qui devaient suivre sa passion et sa résurrection la parfaite conversion des Gentils.» (saint Jérôme)
« Il ne dit pas d’une manière absolue qu’il n’est pas envoyé aux Gentils, mais il déclare qu’il a été envoyé premièrement au peuple d’Israël, et, ce peuple rejetant l’Évangile qui lui était offert, c’était avec justice que Dieu en faisait part aux Gentils.» (saint Jérôme)
Pour mettre cette foi à l’épreuve et le donner comme exemple, il traita durement cette femme. «Mais Jésus ne lui répondit pas un mot,» quand elle le supplia humblement pour la guérison de sa fille tourmentée. Ensuite, il la compara à des chiens. Quelle humiliation ! Pourtant, elle ne fléchit nullement et lui répondit adéquatement sans se vexer. En face de cette foi à tout épreuve, de cette humilité, le Christ fut désarmé et se laissa fléchir. «Et à l'heure même… » la guérison eut lieu sans autre formalité ni procédure. 
«Admirez ici la prudence de cette femme : ni elle n’ose contredire le Sauveur, ni elle ne s’attriste des louanges qu’il donne aux autres, ni elle ne se laisse abattre par cette parole, outrageante. Mais elle répliqua : «Il est vrai, Seigneur; mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître.» Jésus lui avait dit : «Il n’est pas juste;» elle répond : «Il est vrai, Seigneur.» Il appelle les Juifs les enfants, elle enchérit et les appelle maîtres. Il lui a donné le nom de chienne, elle ajoute à cette qualification en rappelant ce que font les chiens, et semble dire au Sauveur : Si je suis un chien, je ne suis point étrangère. Vous me donnez le nom de chien, nourrissez-moi donc comme un chien, je ne puis m’éloigner de la table de mon Maître.» (saint jean Chrysostome, homélie 53)
Les disciples, de leur côté, n’étaient occupés que de renvoyer cette malheureuse femme qui les importunait avec ses cris. Ils étaient encore terre à terre tandis que le Seigneur et cette femme étaient sur un niveau bien plus spirituel.
D’abord elle «sortit.» Sortit de la maison où se trouvait aussi sa fille possédée. Ensuite elle commença à crier, telle une vraie mère désespérée, et finalement elle se prosterna – un geste d’humilité – devant le Seigneur et le supplia non plus en criant mais avec une foi à transporter les montagnes. Cela me fait penser à la Toute Sainte qui parla pareillement à son Fils aux noces de Cana. Le Christ la répudia d’abord mais en face de cette foi il céda et changea l’eau en vin. Le Seigneur savait bien ce qui allait se passer et ce qu’il allait faire, mais comme un père qui joue avec son enfant et se laisse vaincre, ainsi agit Dieu avec nous. Le patriarche Jacob lutta avec l’ange – l’envoyé de Dieu – et vainquit, ce qui lui mérita le nom d’Israël.
Terminons avec des paroles du grand Chrysostome : «Voici la raison du retard que Jésus mettait à l’exaucer : il savait qu’elle lui tiendrait ce langage, et il ne voulait pas qu’une si grande vertu demeurât cachée. «Alors Jésus, lui répondant, lui dit : Ô femme, votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. Ne semble-t-il pas lui dire : Votre foi mériterait d'obtenir bien davantage, mais en attendant, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. Remarquez ici la part considérable qui revient à cette femme dans la guérison de sa fille. Aussi Jésus ne lui dit pas : Que ta fille soit guérie, mais : Ta foi est grande, qu'il te soit fait comme tu le désire, pour vous apprendre qu'elle parlait avec simplicité, sans flatterie, et que sa prière était animée par la foi la plus vive. Or, cette parole du Sauveur est semblable à cette autre que Dieu prononça au commencement du monde : Que le firmament soit fait, et il fut fait; car l'Évangéliste ajoute : Et sa fille fut guérie. Remarquez encore qu'elle obtient elle-même ce que les Apôtres n'ont pu obtenir, tant la prière persévérante a de puissance ! Dieu, en effet, aime mieux que nous le prions beaucoup nous-mêmes pour nos péchés, que d'avoir recours aux prières des autres.»

archimandrite Cassien