jeudi 29 juin 2023

HOMELIE SUR LA QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS PENTECÔTE

 «En ce temps-là, comme Jésus entrait à Capharnaüm, un centurion vint le trouver et lui fit cette prière : Seigneur, j'ai à la maison un serviteur atteint de paralysie, et il souffre beaucoup. Jésus lui dit : Je vais aller le guérir. Le centurion répondit : Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Car moi, qui ne suis qu'un subalterne, j'ai sous moi des soldats, et je dis à l'un : Va ! et il va, à un autre : Viens ! et il vient, et à mon serviteur : Fais ceci ! et il le fait. A ces mots, Jésus fut dans l'admiration et il dit aux assistants : En vérité je vous le dis, chez personne en Israël je n'ai trouvé pareille foi. Aussi, je vous le dis, beaucoup viendront de l'orient et de l'occident et prendront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Puis il dit au centurion : Va, et qu'il t'advienne selon ta foi ! Et sur l'heure le serviteur fut guéri.» Mt (8,5-13)


Est-ce que l’évangile d’aujourd’hui est toujours d’actualité ou est-ce juste un récit historique ? L’Apôtre ne dit-il pas : «Car la parole de Dieu est vivante et opérante, et plus pénétrante qu’aucune épée à deux tranchants, et atteignant jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles; et elle discerne les pensées et les intentions du cœur.» (Heb 4,12)

Il est question des «fils du royaume». C’étaient autrefois les juifs, descendants d’Abraham selon la chair. Aujourd’hui ce sont bien les juifs selon l’esprit, c’est-à-dire les enfants de l’Église. Le Christ n’est pas tendre avec eux et leur prophétise les «les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.» Il ne suffit pas donc d’être baptisé et de porter une jolie étiquette. Il faut avoir aussi une foi vivante et agissante ! 

Il y a et il y aura bien ces ténèbres extérieures, autrement dit l’enfer, et également beaucoup de damnés. L’apocatastasis, familièrement dit l’happy end, est une illusion qui exclut le libre arbitre, la volonté de dire non serviam, comme Lucifer.

Venons-en au centurion. C’était un soldat qui avait sous ses ordres cent autres soldats; donc qui avait un rang élevé. Il faisait partie de la milice romaine, qui occupait en ce temps-là Israël. «Ce centurion était Gentil d’origine, car déjà la Judée était occupée par les armées romaines.» (Saint Augustin. (serm. 6 sur les paroles du Seigneur)  L’évangéliste Marc, qui relate le même épisode,  dit «il aime notre nation et nous a lui-même bâti la synagogue.» (Mc 7,5) Donc, sa foi se traduisait par ses œuvres. Selon Luc également, ce serviteur était esclave du centurion, qui l’aimait fortement. Il ne profitait pas seulement de lui mais l’aimait même ! Cet amour l’incita à recourir à Jésus afin de solliciter la guérison du serviteur qui «était malade et s’en allait mourir,» (Luc 7,2) et selon Matthieu : «atteint de paralysie,» et souffrant beaucoup.

Un autre trait du centurion : Il était fort humble malgré sa situation élevée. Il dit : «je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit,…» Et je «ne suis qu'un subalterne.» Selon Luc encore «je ne me suis pas cru digne moi-même non plus d’aller vers toi». Il envoya des anciens des juifs vers le Christ, se croyant indigne, n’étant pas juif.

Cela me fait penser à cette femme Cananéenne humiliée, de laquelle Jésus disait : «Ô femme, ta foi est grande !» (Mt 15,28)

Il avait l’habitude de commander, et à ses soldats et à son esclave, non d’une manière autoritaire et dure, mais en respectant ses subalternes. 

Le Seigneur l’admira beaucoup, à cause de sa grande foi, et non, bien sûr, à cause de sa situation militaire. Cela veut dire que nos titres, richesses terrestres etc. n’auront plus aucune valeur dans l’autre vie, mais juste notre foi !

Dans les Actes des apôtres il est question d’un autre centurion, nommé Corneille, «craignant Dieu avec toute sa maison, faisant beaucoup d’aumônes au peuple, et priant Dieu continuellement.» (Ac 10,1) Jésus n’était envoyé qu’aux «brebis perdues de la maison d’Israël,» comme il le dit à la Cananéenne. Pourtant il fit des miracles aussi pour les non-juifs. L’apôtre Pierre craignit de baptiser Corneille, mais dans une vision, Dieu lui enseigna de recevoir également les païens dans l’Église. C’est la foi en Lui que Dieu cherche et non notre contexte terrestre, qui ne dépend pas toujours de nous. 

Dans les prières avant la communion, nous disons : «Seigneur mon Dieu, je sais que je suis indigne et incapable de te recevoir dans la demeure de mon âme …» ou «Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous le toit de mon âme …» Que ces paroles ne soient pas dites uniquement avec les lèvres, – quand nous communions pendant ce carême – mais dans cette humilité et foi du centurion, afin que notre âme soit vraiment guérie comme le serviteur de celui-ci !

Voilà juste quelques miettes du festin que l’évangile nous offre aujourd’hui.

Archimandrite Cassien


«Il fut le premier fruit de la foi chez les Gentils, et en comparaison de sa foi, celle des Juifs ne fut qu’incrédulité. Il n’avait pas entendu les enseignements du Sauveur, il n’avait pas été témoin de la guérison du lépreux, mais à peine l’eut-il apprise que sa foi alla bien au delà de ce qu’on lui racontait. Il était en cela la figure de ces nations qui devaient croire dans la suite sans avoir lu, ni la loi ni les prophéties qui annonçaient le Christ, et sans l’avoir vu lui-même opérer des prodiges. Il s’approche donc de lui et lui fait cette prière : «Seigneur, mon serviteur est couché et malade de paralysie dans ma maison, et il souffre extrêmement.» Voyez la bonté du centurion qui se hâte plein de sollicitude pour la santé de son serviteur. Ce n’est pas un intérêt d’argent, c’est sa vie même que la mort de son serviteur semble devoir compromettre. Il ne fait aucune différence entre le maître et le serviteur; car quoiqu’ils n’aient ni la même dignité, ni le même rang dans le monde, ils ont une même nature. Mais voyez aussi la foi de ce centurion, qui ne dit pas : «Venez et sauvez-le,» car tout en étant pour lors dans cet endroit, le Seigneur était présent en tout lieu; admirez en même temps sa sagesse, car il ne lui dit pas : «Sauvez-le sans quitter d’ici.» Il savait en effet que sa puissance peut tout, que sa sagesse comprend tout, et que sa miséricorde est toujours prête à nous exaucer. Il se contente donc de lui exposer l’infirmité de son serviteur en lui disant : «Et il souffre extrêmement,» et il laisse le choix du remède à sa puissance miséricordieuse. On voit par là qu’il aimait son serviteur, car on s’imagine toujours que celui qu’on aime, quelque légère que soit son indisposition, est plus mal qu’il ne l’est en réalité.»

Saint Jean Chrysostome. (sur saint Matthieu)

samedi 3 juin 2023

HOMÉLIE POUR LA PENTECÔTE

    Il se peut que je me répète, et que j’aie déjà dit certains aspects sur cette fête dans d’autres textes. Il est inévitable que le prêtre, qui chaque année prêche sur les mêmes sujets, se redise. Doublement cousu tient mieux, dit un proverbe.

Sur l’icône posée sur le pupitre, on voit les douze apôtres en cercle, et au milieu une place vide. Parmi ces douze se tient l’apôtre Paul, qui pourtant n’était pas encore apôtre mais persécuteur des chrétiens. Il fallait y mettre l’apôtre Matthias, nouvellement élu à la place du traître, si on pense logiquement. «Et ils jetèrent le sort sur eux; et le sort tomba sur Matthias, qui fut adjoint aux onze apôtres,» est-il écrit dans les Actes des apôtres au premier chapitre, juste avant la Pentecôte. L’icône cependant est théologique et non purement historique et nous montre l’au-delà, non fugitif mais stable. 

À la place apparement vide, au centre, se tient le Christ, invisiblement, celui qui a dit : «Et voici, moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation du siècle.» (Mt 28,20)  

Parfois, sur des pseudo-icônes, on voit à cette place la Toute Sainte, ce qui est faux. Elle n’a jamais présidé le collège des apôtres ! D’ailleurs, elle fut remplie de l’Esprit saint au jour de l’Annonciation, tout en étant présente, bien sûr, à Pentecôte. Sur cette icône-ci on voit même l’Esprit saint sous forme de colombe. Pourtant ce n’est qu’au baptême du Christ qu’il se manifesta ainsi ! À Pentecôte ce fut sous forme de langues de feu uniquement !


Pentecôte se célèbre cinquante jours après Pâques et dix jour après l’Ascension, c’est à dire sept semaines après la Résurrection du Christ, et remplace la fête juive de la moisson, où ceux-ci commémorent la promulgation de la Tora sur le mont Sinaï. Pour les chrétiens, ce jour-là, Pentecôte, s’est l’Auteur de la Tora lui-mme précisément qui se manifeste ! Ce n’est plus l’ombre mais la vérité elle-même.

«Quand celui-là, l’Esprit de vérité, sera venu, il vous conduira dans toute la vérité, car il ne parlera pas de par lui-même; mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses qui vont arriver.» (Jn 16,13) 

Quand les disciples furent «tous ensemble dans un même lieu,» (Ac 2,1) l'Esprit saint, promis par le Christ, se manifesta : «Et il se fit tout à coup du ciel un son, comme d’un souffle violent et impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis.» – «Et il leur apparut des langues divisées, comme de feu; et elles se posèrent sur chacun d’eux.» Il se manifesta, non de l’extérieur, mais «ils furent tous remplis de l’Esprit saint, et commencèrent à parler d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’énoncer.» 

Le prophète Joël avait déjà prophétisé cet événement : «Et il arrivera, après cela, que je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes hommes verront des visions.» (2,28) Cela est arrivé lors de la Pentecôte donc, et arrivera encore une fois peu avant la seconde venue du Christ, «avant que vienne le grand et terrible jour du Seigneur,» comme l’a également dit Joël. Ce n’est pourtant pas mon sujet de parler de ce jour terrible, et je me borne à expliquer ce qui se passa à la Pentecôte. 

Lors donc, quand l’Esprit saint se manifesta aux apôtres et les remplit de grâce, «le bruit de ceci s’étant répandu», beaucoup de juifs qui étaient venu à Jérusalem ce jour-là, pour la fête juive susmentionnée, s’assemblèrent, et s’étonnèrent de ce qui se passa. Chacun, venu de pays différents, entendait les disciples parler dans sa propre langue, des «choses magnifiques de Dieu.»

Pierre se leva donc et s’adressa aux juifs : il «leur parla : hommes juifs, et vous tous qui habitez Jérusalem, sachez ceci, et prêtez l’oreille à mes paroles.» Il leur expliqua ce qui est dit dans les prophètes concernant la venue du Christ et les conjura à se convertir. Ceux qui reçurent sa parole furent baptisés, dit Luc dans les Actes des apôtres, «environ trois mille âmes.»

Revenons à ce qui est représenté sur l’icône de la Pentecôte. Parfois on voit en bas, au milieu, précisément le prophète Joël, d’autres fois c’est le cosmos, sous la figure d’un vieillard, avec douze rouleaux dans ses bras, comme sur cette icône de Léonide Ouspensky.


Je me borne à ces quelques paroles simples, pour ne pas subir ce que le pape saint Grégoire le Grand dit : «En effet, quand les ignorants prétendent se hausser à une contemplation approfondie des choses célestes, ils se fourvoient dans l'erreur au lieu de saisir la lumière de la vérité. Et sans la pratique des bonnes oeuvres au préalable, tout ce qu'on obtient est de ne jamais trouver la vision intérieure resplendissante qu'on désire.» (explication du Livre de Rois 3,115,1-116)


a. Cassien