samedi 13 novembre 2021

HOMÉLIE SUR LE RICHE ET LE PAUVRE

«Le Seigneur dit : Il y avait un homme riche qui s'habillait de pourpre et de lin fin et qui faisait chaque jour des festins somptueux. Et un pauvre, du nom de Lazare, gisait près de son portail, tout couvert de plaies. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche, mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies. Or le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d'Abraham; le riche mourut aussi et fut enseveli. Dans le séjour des morts, en proie aux tourments, il leva les yeux et vit de loin Abraham, et Lazare dans le sein d'Abraham. Alors il s'écria : Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car dans ces flammes je souffre cruellement. Abraham lui répondit : Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare, ses maux; maintenant donc il trouve ici consolation, et c'est ton tour de souffrir. D'ailleurs entre vous et nous s'est ouvert un abîme profond; et ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne le peuvent, non plus que ceux qui voudraient passer de là jusqu'à nous. Le riche dit alors : Père, je te prie donc d'envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j'ai cinq frères; qu'il leur fasse la leçon, de peur qu'ils ne viennent, eux aussi, dans ce lieu de tourments. Et Abraham lui répondit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent ! Mais le riche reprit : Non, père Abraham, mais si quelqu'un de chez les morts va les trouver, ils se repentiront. Mais Abraham lui dit : S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne croiront pas davantage quelqu'un qui ressusciterait d'entre les morts.»

Luc (16,19-31)



Il est question dans cette parabole de Lazare qui fut emporté par les anges. Donc, cela confirme que les anges emportent l’âme du défunt après le décès, et également que le séjour des morts (enfer, hadès etc.) existe et reçoit les pécheurs en attendant le Jugement dernier. Le riche «fut enseveli.» On ne parle pas des anges ! Les flammes dont il est question figurent les souffrances que le pécheur endure toute l’éternité. Évidemment, l’eau ne pourra pas le soulager, ce n’est qu’une image. 

Un autre aspect : le riche ne fut pas condamné à cause de sa richesse mais à cause de sa dureté de cœur, car il ne partagea pas avec le pauvre qui était devant sa porte. «Dans le présent passage, on blâme le mauvais riche, non pour avoir pris le bien d’autrui, mais pour ne pas lui avoir donné du sien,» dit saint Grégoire le Dialogue (hom. 40 sur les Evang.) Plus bas il continue : «Le riche, en effet, n’est pas puni pour avoir volé les biens d’autrui, mais parce qu’il s’est livré à un mauvais usage de ses propres biens.»

«Toute pauvreté n’a pas le privilège de la sainteté, comme aussi toute richesse n’est pas nécessairement criminelle, mais de même que c’est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, c’est la sainteté qui rend la pauvreté recommandable,» dit saint Ambroise de Milan.

Le riche ne s’inquiétait, après sa mort, que de ses parents. Ni le pauvre Lazare, ni le reste de l’humanité ne l’intéressaient. Apparement les cinq frères ne vivaient pas mieux que lui-même, car il est bien dit : «ils se repentiront,» dans le cas où…

L’abîme profond indique bien la séparation définitive entre les justes et les pécheurs. Il ne s’agit pas seulement du fait qu’on ne peut se rejoindre, mais que même le souvenir des damnés est effacé chez les justes, sinon ils souffraient encore en y pensant.

Il est écrit aussi : L’abîme «s'est ouvert». L’abîme définitif ne se fera qu’après le dernier Jugement.» Entre-temps, l’âme peut encore migrer de l’hadès, grâce aux prières de l’Église et de chacun, sans pourtant ne rien faire d’elle-même.

Si les âmes des justes sont portées à la miséricorde par leur bonté naturelle, une fois qu’elles sont unies à la justice de leur Créateur, elles sont dotées d’une si grande rectitude de jugement qu’elles n’éprouvent plus aucune compassion pour les réprouvés. (Je plagie cela de chez saint Grégoire).

Le sein d’Abraham n’est qu’une image du paradis céleste bien sûr. Dieu dit à Abraham : «Je te rends père d’une multitude de nations.» (Gen 17,5) Il faut le comprendre dans ce sens et non le prendre à la lettre.

«Beaucoup viendront du levant et du couchant, et auront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures.» (Mt 8,11-12)

«Il y avait,» et non : il y a, car il a passé comme une ombre fugitive,» dit saint Jean Chrysostome (hom. sur les riches), pour indiquer que les richesses de cette vie terrestre sont passagères et caduques.

Le pauvre porte un nom tandis que le riche est anonyme. Dans l’Apocalypse est écrit : «À celui qui vaincra je donnerai de la manne cachée, et je lui donnerai un caillou blanc; et sur ce caillou est écrit un nom nouveau, que personne ne connaît, si ce n’est celui qui le reçoit.» (2,17) Celui qui vaincra recevra donc un nom nouveau, et pas les damnés. Saint Ambroise dit : «Il semble que ce soit ici une histoire plutôt qu’une parabole, puisqu’il y a désignation précise du nom.» De son côté, saint Jean Chrysostome remarque : «Dans la parabole, au contraire, on propose un exemple et on passe les noms sous silence. Le mot Lazare signifie qui est secouru; en effet, il était pauvre et il avait Dieu pour soutien.» (hom. sur les riches) Il dit «au contraire»; cela confirme ce que saint Ambroise remarque. Saint Cyrille, de son côté, indique «une tradition juive rapporte qu’il y avait alors à Jérusalem un homme nommé Lazare, accablé tout à la fois sous le poids de l’indigence et de la maladie, et c’est lui que notre Seigneur prend ici pour exemple pour donner plus de clarté à ses divins enseignements.» «Remarquez encore que dans le peuple on connaît bien mieux le nom des riches que celui des pauvres; or notre Seigneur nous fait connaître ici le nom du pauvre et passe sous silence le nom du riche, pour nous apprendre que Dieu connaît et chérit les humbles, tandis qu’il ne connaît point les superbes,» dit saint Grégoire le Grand (hom. 40 sur les Evang.)

  «Souviens-toi,» dit la parabole. Cela indique nettement qu’on savait bien dans cette vie comment vivre, et qu’il n’y aura pas d’excuse.

Il est bien dit que le pauvre était couché devant la porte. Donc le riche le voyait bien chaque jour et n’a par conséquent aucune excuse pour sa dureté.

Lazare cherchait en cette vie à ramasser les miettes tombant de la table du riche, et le riche damné désire que Lazare lui laisse tomber du bout du doigt une goutte d’eau dans la bouche. L’un souffrit dans cette vie passagère et l’autre souffre dans la vie future pour toute l’éternité ! Pensons donc que nos souffrances ici-bas passent et que les récompenses seront éternelles !

Cet évangile est très riche d’enseignement, et je laisse pour une autre fois – si Dieu me prête vie – d’autres explications, en terminant maintenant avec ce que dit le Seigneur : «Et moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec les richesses injustes, pour qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, quand elles viendront à vous manquer.» (Luc 16,9)


archimandrite Cassien




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