samedi 10 août 2019

HOMÉLIE POUR LE 8e DIMANCHE DE MATTHIEU

En ce temps-là, Jésus vit une grande foule et, pris de compassion, il en guérit les infirmes. Le soir venu, les disciples s'approchèrent et lui dirent : L'endroit est désert et l'heure est déjà passée; renvoie la foule, pour qu'elle aille dans les villages acheter des provisions. Mais Jésus leur dit : Ils n'ont pas besoin d'y aller; donnez-leur vous-mêmes de quoi manger. Ils répondirent : Nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons. Jésus leur dit : Apportez-les moi ici ! Alors il fit asseoir la foule sur l'herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel et dit la bénédiction; puis, rompant les pains, il les donna aux disciples, qui les donnèrent à la foule. Tous mangèrent à satiété, et l'on remplit douze corbeilles avec les morceaux qui restaient. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants. Aussitôt après il ordonna à ses disciples de remonter dans la barque et de le précéder sur l'autre rive, pendant qu'il renverrait la foule.  Mt (14,14-22)

Ce qui montre la foi de ce peuple, c’est que malgré la faim qu’il éprouve, il persévère avec le Sauveur jusqu’au soir. «Le soir étant venu, ses disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : Ce lieu-ci est désert.» Notre Seigneur, qui a le dessein de donner à manger à cette multitude, attend cependant qu’il en soit prié. C’est ainsi que jamais Il ne s’empresse de faire des miracles, mais qu’il attend toujours qu’on lui en fasse la demande. Mais pourquoi donc n’en est-il pas un seul dans toute cette multitude pour s’approcher de lui ? C’est par un profond sentiment de respect, et le désir ardent d’être toujours avec lui leur fait oublier le besoin de la faim. Les disciples eux-mêmes ne viennent pas lui dire : Donnez-leur à manger, car leurs dispositions étaient encore trop imparfaites; mais ils lui représentent que le lieu est désert. Ce que les Juifs avaient regardé comme un miracle impossible dans le désert, lorsqu’ils disaient : «Est-ce qu’il pourra nous dresser une table dans le désert ?» (Ps 77) c’est ce que Jésus se propose de faire. Il conduit ce peuple dans le désert, afin que ce miracle ne laisse aucune place au doute et que personne ne puisse penser que c’est un des bourgs voisins qui a fourni le pain qu’il distribue à ce peuple. Ce lieu est désert, il est vrai, mais celui qui nourrit tout ce qui respire le remplit de sa présence, et quoique l’heure soit passée, comme le font remarquer les apôtres, celui qui parle ici n’est pas soumis aux heures dont se composent nos journées. Bien que pour préparer ses disciples à ce miracle il eût commencé par guérir un grand nombre de malades, ils étaient encore si imparfaits qu’ils ne pouvaient soupçonner le miracle qu’il devait opérer en multipliant les pains, et c’est pour cela qu’ils lui disent : «Renvoyez le peuple,» etc. Remarquez la sagesse du divin Maître : il ne leur dit pas immédiatement : «Je les nourrirai,» car ils ne l’auraient pas cru facilement, mais il leur répond : «Il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger.» 
Cette réponse du Sauveur ne suffit pas pour donner aux disciples de plus hautes idées; ils continuent de lui parler comme s’il n’était qu’un homme : «Et ils lui répondirent : Nous n’avons ici que cinq pains,» etc. Cependant les disciples nous donnent ici une preuve de leur sagesse dans le peu de souci qu’ils prennent de la nourriture. Ils étaient douze et n’avaient que cinq pains et deux poissons. Ils méprisaient les besoins du corps, et ils étaient tout entiers aux choses spirituelles. Mais comme leurs pensées se tramaient encore sur la terre, le Sauveur les amène insensiblement au miracle qu’il veut opérer : «Et il leur dit : Apportez-moi ces pains.» Pourquoi donc n’a-t-il pas tiré du néant ces pains avec lesquels il doit nourrir la foule ? C’est pour fermer la bouche à Marcion et aux Manichéens, qui soutiennent que les créatures sont complètement étrangères à Dieu, et pour montrer par ses oeuvres que toutes les choses visibles sont sorties de sa main et ont été créées par lui. C’est ainsi qu’il prouve quel est celui qui produisit les fruits et qui a dit au commencement : «Que la terre produise les plantes verdoyantes.» (Gn 1) Le miracle qu’il va faire n’est pas moins grand, car il ne faut pas une moindre puissance pour nourrir une grande multitude avec cinq pains et quelques poissons que pour faire sortir les fruits de la terre, et du sein des eaux les reptiles et les animaux qui ont la vie et le mouvement, double création qui le proclame le Seigneur de la terre et de la mer. L’exemple des disciples nous apprend que le peu même que nous possédons nous devons aimer à le verser dans le sein des pauvres. En effet, aussitôt que le Seigneur leur ordonne d’apporter leurs cinq pains, ils obéissent sans songer à répondre : «Comment pourrons-nous apaiser notre faim ?» «Et après avoir commandé au peuple de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et, levant les yeux au ciel, il les bénit,» etc. Pourquoi lever les yeux au ciel et bénir ces pains ? C’était pour déclarer qu’il venait du Père et qu’il était son égal. Il prouvait qu’il était égal à son Père en agissant en tout avec puissance, et il montrait qu’il venait du Père en lui rapportant tout ce qu’il faisait et en l’invoquant avant toutes ses oeuvres. C’est comme preuve de cette double vérité que tantôt il opérait ses miracles avec puissance, tantôt il priait avant de les faire. Il faut de plus remarquer que pour les miracles moins importants il lève les yeux vers le ciel, et que pour les plus éclatants, il agit avec une puissance absolue. Ainsi, lorsqu’il ressuscite les morts, quand il met un frein à la fureur des flots, quand il juge les pensées secrètes des cœurs, quand il ouvre les yeux de l’aveugle-né, oeuvres qui ne peuvent avoir que Dieu pour auteur, nous ne le voyons pas recourir à la prière; mais lorsqu’il multiplie les pains (miracle inférieur à ceux qui précèdent), il lève les yeux au ciel pour vous apprendre que même dans les prodiges moins importants il n’agit point par une puissance différente de celle de son Père. Il nous apprend en même temps à ne jamais prendre nos repas avant d’avoir rendu grâces à Celui qui nous donne la nourriture. Notre Seigneur veut en outre opérer un miracle avec ces cinq pains pour amener ses disciples à croire en lui, car ils étaient encore bien faibles dans la foi. C’est pourquoi il lève les yeux vers le ciel. Car s’ils avaient déjà été témoins d’un grand nombre de miracles, ils n’en avaient pas encore vu de semblable. 
Il veut en cela non seulement leur faire honneur, mais rendre impossible et l’incrédulité, et l’oubli à l’égard d’un miracle auquel leurs mains elles-mêmes rendaient témoignage. Il permet que la multitude éprouve d’abord le besoin de la faim, que les disciples s’approchent de lui, l’interrogent et lui remettent les pains entre les mains pour multiplier les preuves de ce miracle et les circonstances qui devaient en conserver le souvenir. En ne donnant aux peuples que des pains et des poissons, et en les leur distribuant d’une manière égale, il leur enseigne l’humilité, la tempérance et la charité qui devait leur faire regarder toutes les choses comme communes entre eux. Le lieu même où il les nourrit, l’herbe sur laquelle il les fait asseoir, contiennent un enseignement, car il ne veut pas seulement apaiser leur faim, mais aussi nourrir leur âme. Or, les pains et les poissons se multipliaient entre les mains des disciples, comme l’indique la suite du récit : «Et tous en mangèrent,» etc. Le miracle ne s’arrêta pas là et la multiplication s’étendit au delà du nécessaire, de manière qu’après avoir multiplié les pains entiers, il permit qu’il restât une grande quantité de morceaux. Le Seigneur veut prouver ainsi que ce sont vraiment les restes des pains qu’il a multipliés, convaincre les absents de la vérité du miracle et montrer à tous que ce n’est pas un prodige imaginaire : «Et ils emportèrent douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés.» 
Il voulut qu’il restât douze corbeilles pleines, afin que Judas pût aussi porter la sienne. Il fait aussi emporter ces restes par ses disciples, et non par la foule, dont les dispositions étaient moins parfaites. 
Un trait à la louange de ce peuple, c’est que les femmes comme les hommes suivaient Jésus Christ quand le miracle fut opéré. 
Notre Seigneur, voulant livrer à un examen sérieux le miracle qu’il vient d’opérer, ordonne à ceux qui en ont été les témoins de se séparer de lui; car en supposant que lui présent, on pût croire qu’il n’avait fait ce miracle qu’en apparence, on ne pourrait en porter le même jugement lorsqu’il aurait disparu. C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : «Et aussitôt Jésus obligea ses disciples d’entrer dans une barque et de le précéder.» 
Remarquons que toutes les fois que le Seigneur a opéré de grandes choses, il renvoie le peuple, et nous enseigne ainsi à ne pas rechercher la gloire qui vient des hommes, et à ne pas attirer le peuple après nous. Il nous apprend aussi à ne pas nous mêler continuellement à la multitude et à ne pas la fuir non plus toujours, mais à fréquenter tour à tour le monde et la solitude. «Après avoir renvoyé la foule, il monta seul sur la montagne,» etc. Il nous enseigne ici les avantages de la solitude, lorsque nous voulons nous entretenir avec Dieu. Jésus se rend dans le désert, et il y passe la nuit en prières, pour nous apprendre à choisir les temps et les lieux où nous pourrons nous livrer dans le calme à la prière. 

Saint Jean Chrysostome. (hom. 49)


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