vendredi 19 mai 2023

HOMÉLIE SUR L’AVEUGLE-NÉ

 «En ce temps-là Jésus vit en passant un homme qui était aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'aveugle il soit né ? Jésus répondit : Ni lui ni ses parents, mais c'est pour qu'en lui se manifestent les œuvres de Dieu. Tant qu'il fait jour, il me faut faire les œuvres de celui qui m'a envoyé; la nuit vient où nul ne peut travailler; tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. Cela dit, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, en enduisit les yeux de l'aveugle et lui dit : Va te laver à la piscine de Siloé, c'est-à-dire à la piscine de l'Envoyé. L'aveugle s'en alla, se lava, et il revint, voyant clair. Les voisins et les gens habitués à le voir mendier auparavant dirent alors : N'est-ce pas celui qui se tenait toujours là à mendier ? Les uns disaient : C'est lui. Les autres disaient : Non, mais il lui ressemble. Mais lui affirmait : C'est bien moi ! Ils lui dirent alors : Comment donc tes yeux se sont-ils ouverts ? Il répondit : Celui qu'on appelle Jésus a fait de la boue, m'en a enduit les yeux et m'a dit : Va te laver à Siloé ! Alors je suis parti, je me suis lavé et j'ai vu clair. Ils lui dirent : Où est-il ? Il répondit : Je ne sais. 

On amène aux Pharisiens l'ancien aveugle. Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. Les Pharisiens lui demandèrent donc à leur tour comment il avait recouvré la vue. Il leur dit : Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. Certains des Pharisiens disaient : Cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu'il n'observe pas le sabbat; d'autres répliquaient : Comment un pécheur pourrait-il faire des miracles pareils ? Ils étaient divisés. Alors ils s'adressèrent encore une fois à l'aveugle : Et toi, que dis-tu de lui, de ce qu'il t'a ouvert les yeux ? L’homme répondit : C'est un prophète ! Cependant les Juifs ne voulurent pas croire que cet homme eût été aveugle et qu'il eût recouvré la vue, avant d'avoir convoqué ses parents; ils leur demandèrent : Cet homme est-il bien votre fils, dont vous dites qu'il est né aveugle ? Comment se fait-il qu'il voit maintenant ? Ses parents répondirent : Nous savons que c'est notre fils et qu'il est né aveugle; mais comment il y voit maintenant et qui lui a ouvert les yeux, nous n’en savons rien; interrogez-le : il est assez grand pour s'expliquer ! C'est par crainte des Juifs que ses parents parlèrent ainsi; car les Juifs s'étaient déjà mis d'accord pour exclure de la synagogue quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ. C'est pour cette raison que ses parents avaient dit : Il est assez grand, interrogez-le ! Les Juifs le convoquèrent donc une seconde fois et lui dirent : Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. Il répondit : Si c’est un pécheur, je ne sais; ce que je sais, c'est que j'étais aveugle et qu'à présent j'y vois ! Ils lui dirent alors : Comment a-t-il fait pour t'ouvrir les yeux ? Il leur répondit : Je vous l'ai déjà dit et vous ne m'avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous l'entendre une seconde fois ? Auriez-vous envie de devenir ses disciples, vous aussi ? Ils l'accablèrent d'injures, disant : Toi, tu es disciple de cet homme; nous, c'est de Moïse que nous sommes les disciples. Moïse, nous savons que Dieu lui a parlé; mais lui, nous ne savons pas d'où il est. L'homme leur répondit : C'est là justement la chose étonnante, que vous ne sachiez pas d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les yeux. Nous savons bien que Dieu n'exauce pas les pécheurs, mais que si un homme l'honore et accomplit sa volonté, celui-là, il l'exauce. Jamais on n'a ouï dire que quelqu'un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. Ils lui répondirent : De naissance tu n'es que péché et tu nous fais la leçon ! Et ils le chassèrent au-dehors. Jésus apprit qu'ils l'avaient chassé. Le rencontrant, il lui dit : Crois-tu au Fils de Dieu ? Il lui répondit : Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? Jésus lui dit : Tu le vois, c'est lui qui te parle. Alors il dit : Je crois, Seigneur, et il se prosterna devant lui.» (Jean 9,1-38)




L’apôtre Jean a écrit son évangile après les autres évangélistes, et son but, entre autres, était de les compléter. C’est pour cela qu’il relate bien en détails cet épisode de l’aveugle-né. Allons donc le décortiquer un peu, – je dis un peu, – car pour le faire entièrement il faudrait écrire un livre entier.

«Ses disciples lui firent cette question : Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ?» Ce ne pouvait pas être l’aveugle lui-même, car à sa naissance, ou avant, il ne pouvait pas pécher ! «Question fondée sur une fausse supposition : car comment cet homme aurait-il pu commettre quelque péché avant de naître ?», dit saint Jean Bouche d’Or. Ses parents non plus, comme dit le Christ : «Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché.» Pourtant, souvent les défauts des parents se transmettent aux enfants, mais pas cette fois-ci. Dieu qui n’est pas l’auteur du mal, se servit de cet aveuglement pour faire éclater la puissance du Dieu-Homme et amener ses créatures à la foi.

Dans d’autres cas, la faute était bien due au malade, comme l’explique le grand Chrysostome ailleurs : (hom. 56) «Ils furent amenés en effet à lui faire cette question, parce qu'en guérissant le paralytique, Jésus lui avait dit : «Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus davantage.» (Jean 5) Et dans la pensée que ses péchés avaient été la cause de sa paralysie, ils demandent si cet aveugle ne s'est pas rendu aussi coupable de péché, ce qu'on ne pouvait ni dire ni supposer, puisqu'il était aveugle de naissance; ou bien ses parents, ce qui n'était pas plus raisonnable, car le fils ne porte pas le péché du père.»

Saint Augustin de son côté : «Est-ce donc qu'il était né sans la faute originelle ou qu'il n'y avait ajouté par la suite aucune faute volontaire ? Non, sans doute, ses parents aussi bien que lui étaient coupables, mais ce n'est pas à cause du péché qu'ils avaient commis que cet homme était né aveugle. Notre Seigneur en donne la véritable cause, lorsqu'il ajoute : C'est afin, dit-il, que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui

Encore saint Grégoire le Dialogue : (1 Moral. ou Préf. sur Job) «Il y a des châtiments que Dieu inflige aux pécheurs sans qu'il y ait pour lui de retour possible; il en est d'autres qui le frappent afin de le rendre meilleur; il en est d'autres encore qui ont pour fin, non point de punir les fautes passées, mais de prévenir les fautes à venir; d'autres enfin qui n'ont pour but ni de punir les péchés passés, ni de prévenir ceux que l'on peut commettre dans l'avenir, mais de faire connaître d'une manière plus éclatante et aimer plus ardemment la puissance de Celui qui sauve par le salut inespéré qui suit immédiatement le châtiment.»

La vérité, c'est que tout mal dans ce monde, toute souffrance dans notre humanité, proviennent du péché; on ne saurait donc, sans blasphémer, les attribuer à Dieu.

    L'erreur, générale parmi les Juifs, consistait à penser que toute souffrance était un châtiment pour des péchés personnels. Ainsi, aux yeux des amis de Job, les terribles épreuves de cet homme intègre étaient le signe irrécusable de graves transgressions, dont il devait s'être rendu coupable, à l'insu de tous.

Ne devrions-nous pas remplacer les nombreux «pourquoi» que nous exprimons au cours de nos épreuves par des «en vue de quoi ?» Dieu, notre Père, ne juge pas toujours à propos de nous faire saisir ici-bas les raisons de nos souffrances, mais le mystère de toutes choses nous sera révélé là-haut.

Le Sauveur «cracha à terre, et fit de la boue avec sa salive. Puis il appliqua cette boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : Va, et lave-toi au réservoir de Siloé, (nom qui signifie envoyé). Il y alla, se lava, et s’en retourna voyant clair.»

Pourquoi le Christ fit-il ce geste ? Il aurait pu dire simplement : soit guéri, comme il l’a fait parfois : «Lève-toi et marche», par exemple. Il aurait pu dire aussi simplement : «Va te laver dans la piscine de Siloë !» Pourtant la guérison ne vint pas, cette fois-ci, de la piscine miraculeuse, mais bien de Jésus, sinon à quoi aurait servi le fait de faire de la boue avec sa salive ? La fontaine de Siloé n’a fait que parachever la guérison : «et il revint, voyant clair.» Cette piscine servit aussi, en ce cas, au nettoyage de la boue. Si le Seigneur n’avait mis que de la salive, alors le lavement aurait signifié que sa salive était impure, mais loin s’en faut; elle a provoqué la guérison !

Saint Jean Chrysostome dit : «c'est la vertu de sa bouche qui a fait et ouvert les yeux de cet aveugle, et il lui ordonne ensuite de les laver pour que la guérison ne soit point non plus rapportée à une vertu secrète de la terre : Et il lui dit : Va te laver dans la piscine de Siloë (mot qui veut dire envoyé), pour vous apprendre que je n'ai pas besoin de boue pour faire des yeux.» (Homélie 56)

«Les voisins et les gens habitués à le voir mendier,» étaient perplexes, en voyant ce miracle, mais les pharisiens, les zélateurs de la Loi, s’en scandalisaient, une fois de plus, non pas tellement de la guérison mais que cela se passât un jour de sabbat. Que le sabbat était fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat, comme le dit l’évangéliste Marc (cf. 2,27), leur était incompréhensible dans leur aveuglement spirituel, qui était pire que l’aveuglement de l’aveugle-né.

«Ils lui faisaient cette question dans le dessein qu'ils avaient formé de mettre Jésus à mort, car déjà ils avaient conspiré contre lui.» Saint Jean Chrysostome. (hom. 57)

Les juifs, c’est-à-dire les Pharisiens, lui demandèrent donc à leur tour comment il avait recouvré la vue. Ils le lui demandèrent une fois, et encore une  autre fois en insistant, dit l’évangile. Ensuite ils demandèrent les parents, et ceux-ci les renvoyèrent à leur fils par crainte d’exclusion. Pour la troisième fois celui-ci leur répondit hardiment cette fois-ci, et sans crainte, en les mettant dans l’embarras. «Je vous l'ai déjà dit et vous ne m'avez pas écouté. … Auriez-vous envie de devenir ses disciples, vous aussi ?» Ils répliquèrent indignés : «De naissance tu n'es que péché et tu nous fais la leçon !» Selon l’opinion des juifs, la maladie venait toujours du péché, comme nous l’avons vu plus haut, mais la réalité est bien plus complexe.

«Et ils le chassèrent au-dehors.» Ce que les parents ont évité par leur lâcheté, l’ancien aveugle, lui, l’a subi – l’excommunication de la synagogue. De son côté, ce que l’aveugle a gagné par sa franchise et sans crainte, – la foi en Christ, eux l’ont raté par leur lâcheté. À nous donc de choisir dans la vie l’attitude à prendre quand ils s’agit de vivre et de témoigner de notre foi – car devant nous est le chemin de la vie et de la mort.


a. Cassien




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