samedi 26 février 2022

LE DIMANCHE DE CARNAVAL

 D’abord une petite explication du mot carnaval avant d’aborder l’évangile de ce jour. Le mot carnaval a pour origine carnelevare, un verbe latin formé de caro, carnis «viande» et levare «enlever». Il signifie donc littéralement «enlever la viande.» Le mot grec apokreas veut dire exactement la même chose. Donc on cesse de consommer de la viande avant d’entrer dans le stade du grand Carême. 

Déguisements, masques, soirée carnavalesque, etc. remontent aux festivités préchrétiennes et n’ont rien à faire dans l’Église orthodoxe. Malheureusement à Patras, en Grèce, on a introduit ces pratiques, qui ont pris racine sur un terrain en friche, où l’orthodoxie n’est plus cultivée – sous l’influence occidentale, bien sûr. 

Cela dit, regardons ce que nous enseigne l’évangile du dimanche. Il nous parle du Jugement dernier, quand le Christ «viendra dans sa Gloire», prendre «place sur le trône», afin de juger toutes les nations. Il est question des brebis  et des boucs, qui seront séparés les uns d'avec les autres, et par lesquels le Seigneur entend les élus et les damnés. 

On sera jugé, non sur la vraie foi (orthodoxie) seulement, mais aussi sur l’orthopraxie, c’est-à-dire la pratique juste envers le prochain, sous lequel le Christ s’est déguisé. L’apôtre Jacques en parle longuement dans son épître, chapitre 2 : «que sert–il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres», et la suite. 

Dans la parabole du pharisien, qu’on avait entendue récemment, on voyait qu’il observait scrupuleusement la Loi, mais à la lettre et non selon l’esprit. Tout en jeûnant strictement et en priant hypocritement, il méprisait et jugeait son prochain. L’apôtre Jean dit bien : «Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut–il aimer Dieu qu’il ne voit pas ?» (I Jn 4,20) Donc l’évangile qu’on vient d’entendre nous met en garde contre l'erreur de nous contenter de jeûner strictement lors du Carême, de nous focaliser sur des œuvres extérieures, et de négliger l’amour du prochain. D’autre part, assister le prochain, le nourrir, vêtir, visiter, etc. cela ne suffit pas non plus. L’assistante sociale, par exemple, le fait aussi, mais juste pour gagner sa vie. Il faut donc cette foi agissante comme base dans notre vie. 

«Cette partie du discours du Sauveur est pleine d’attrait, et nous devons l’avoir sans cesse présente à l’esprit pour la méditer avec empressement et componction; car Jésus Christ lui-même traite ce sujet en termes aussi clairs qu’effrayants. Il ne dit plus comme précédemment : Le royaume de Dieu est semblable, mais il parle de lui-même ouvertement : Or, quand le Fils de l’homme viendra,» etc. (Saint Jean Chrysostome; hom. 79) 


a. Cassien



samedi 19 février 2022

HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DU FILS PRODIGUE


 La parabole d’aujourd’hui concerne l’humanité dans son ensemble, et chacun de nous en particulier. Tous, nous avons dilapidé l’héritage paternel, c’est-à-dire la ressemblance avec Dieu. «Tout son avoir», dit l’évangile. Il ne nous reste que l’image (selon Dieu) – la liberté de choisir entre le bien et le mal. Au lieu des vertus, en lesquelles consiste notre ressemblance avec Dieu, les vices se sont installés. 

«Le bien de l’homme, c’est la raison accompagnée du libre arbitre; tout ce que nous tenons de la main libérale de Dieu, peut aussi être regardé comme notre bien, le ciel, la terre, toutes les créatures, la loi et les prophètes.» (Théophylacte) 

C'est le chemin du repentir, en d’autres termes, du revirement, de la pénitence, qu’il faut prendre. 

Le grand Carême est devant la porte, et nous chantons : «Ouvre nous les portes de la pénitence ...» C’est un chemin qu’il faut parcourir, et qui dure toute notre vie; il demande effort et persévérance. 

Si les hommes actuels ne prennent pas ce chemin, le même sort les attend que celui des Sodomites d'autrefois. Jamais l’humanité n’avait été si bas, si loin de Dieu, et la voix de l’ange, dont parle l’Apocalypse, se fera entendre : «Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande. (Apo 18,2) Le texte explique ensuite ce qu’est cette Babylone : «une habitation de démons, un repaire de tout esprit impur, un repaire de tout oiseau impur et odieux, parce que toutes les nations ont bu du vin de la fureur de son impudicité, et que les rois de la terre se sont livrés avec elle à l’impudicité, et que les marchands de la terre se sont enrichis par la puissance de son luxe.» 

La parabole parle des carouges, dont le fils prodigue voulait se rassasier, et qui symbolisent les vices. «Mais personne ne lui en donnait,» dit l’évangile, c’est-à-dire les vices ne nous rassasient jamais et nous laissent toujours à notre faim, en l’augmentant même. Les pourceaux en mangent, selon l’évangile; cela veut dire que ce n’est pas la nourriture de l’homme mais des animaux impurs. 

C’est «une espèce de légume vide au-dedans et assez tendre à l’extérieur, qui remplit le corps sans le fortifier, et qui, par conséquent, est plus nuisible qu’utile,» dit saint Ambroise. 

«Il alla se mettre au service d'un des habitants de la contrée,» marque l’évangile. Qui sont ces habitants, sinon les malins esprits, auxquels nous sommes assujettis ? Et on «garde les porcs.» 

«Cet habitant de cette région, c’est quelque puissance de l’air, faisant partie de la milice du démon.» (Saint Augustin : Quest. évang.) 

En prenant conscience, le fils prodigue se repentit et prit le retour vers la maison paternelle. Prenons conscience, en profondeur, de notre état de déchéance, et le chemin du salut s’ouvrira pour nous ! Tant que nous y «bricolons» seulement, en nous contentent de quelques pratiques extérieures, nous n’avançons pas vraiment, nous piétinons sur place. 

En quoi consiste réellement le vrai repentir ? N’est-ce pas en ce que nous ouvrons notre cœur, et entendons la voix de Dieu qui frappe pour entrer. «Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi.» (Apo 3,20) 

En d’autres termes, c’est rentrer en soi-même, comme dit l’évangile. «Il a bien raison de rentrer en lui-même, lui qui s’en est tant éloigné; car en retournant à Dieu, on se rend à soi-même, et on s’en sépare quand on se sépare de Jésus Christ.» (saint Ambroise) 

Avec le psalmiste, nous chantons aujourd’hui, – après le Polyéléos : «Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion...» (Ps 136) Pour les Hébreux, leur exil était à Babylone. Notre exil à nous, c’est l’éloignement de l’état paradisiaque, loin d’Eden. 

«Apportez vite la plus belle robe pour l'en revêtir,» poursuit l’évangile. Qu’est-ce que cette robe ? «C’est la dignité qu’Adam a perdue par son péché : les serviteurs qui l’apportent sont les prédicateurs de la réconciliation», dit le vénérable Augustin. 

«... un anneau au doigt et des chaussures aux pieds,» demande d’autres explications, qu’on laisse pour une autre fois. 


a. Cassien 




dimanche 13 février 2022

HOMÉLIE POUR LA PRÉSENTATION AU TEMPLE

 La Présentation au Temple, ou la sainte Rencontre, se célèbre quarante jours après la Naissance du Christ, – le deux février. On pourrait l’appeler une fête mineure; pourtant elle fait partie de l’économie du salut et le Sauveur est venu pour accomplir toute la Loi. «Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir.» (Mt 5,17) «Les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu’ordonnait la loi.» (Luc 2,27) 


«Quand les jours de leur purification furent accomplis, selon la loi de Moïse, Joseph et Marie le portèrent à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur, – suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur : Tout mâle premier–né sera consacré au Seigneur, – et pour offrir en sacrifice deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, comme cela est prescrit dans la loi du Seigneur.» (Luc 2,22) 

«Le huitième jour, l’enfant sera circoncis. Elle restera encore trente–trois jours à se purifier de son sang; elle ne touchera aucune chose sainte, et elle n’ira point au sanctuaire, jusqu’à ce que les jours de sa purification soient accomplis.» (Lev 12,3-4) 

Il s’agissait donc, et de la purification de la Toute-Sainte, et de la présentation de l’enfant nouveau-né. Pourtant la Vierge pure n’avait pas besoin de se purifier. Voici ce qu'en dit saint Bède le Vénérable : 

«Si vous examinez avec attention le texte de cette loi, vous conclurez certainement que la Mère de Dieu était affranchie de cette prescription légale, comme elle l’avait été de toute union charnelle. Car ce n’est point toute femme qui enfante qui est déclarée immonde, mais celle qui enfante par les voies ordinaires, pour distinguer de toutes les autres femmes celle qui conçut et enfanta sans cesser d’être vierge. Cependant, Marie, à l’exemple de Jésus-Christ son Fils, se soumet d’elle-même à cette loi, pour nous délivrer du joug de la loi.» 

Tite de Bostre écrit de son côté : «Et en réalité la Vierge sainte n’avait nul besoin d’attendre le jour de sa purification, elle qui, ayant conçu de l’Esprit saint, n’avait contracté aucune souillure.» 

«Ce n’est point l’union conjugale qui a ouvert le chaste sein de la Vierge, mais l’Esprit saint qui a déposé dans ce sanctuaire inviolable le principe d’une naissance immaculée. Celui qui avait sanctifié le sein d’une autre femme pour la rendre mère d’un prophète, ouvrit Lui-même le sein de sa mère pour en sortir sain et sans aucune souillure.» (saint Ambroise de Milan) 

En action de grâces, les parents offraient deux tourterelles. «Si elle n’a pas de quoi se pro- curer un agneau, elle prendra deux tourterelles ou deux jeunes pigeons; l’un pour l’holocauste, l’autre pour le sacrifice d’expiation. Le sacrificateur fera pour elle l’expiation, et elle sera pure.» (Lev 12,8) 

«C’était l’offrande des pauvres; en effet, d’après la loi, ceux qui en avaient le moyen devaient offrir pour un enfant mâle ou pour une fille, un agneau, et en même temps une tourterelle ou une colombe : s’ils étaient pauvres et n’avaient pas le moyen d’offrir un agneau, ils offraient à la place deux tourterelles ou deux petits de colombe. Ainsi le Seigneur, de riche qu’Il était, a daigné se faire pauvre, afin de nous faire entrer par sa pauvreté.» (Bède le Vénérable) 

«Examinons quelle est la signification mystérieuse de ces offrandes. La tourterelle est de tous les oiseaux celle dont le chant est le plus fréquent et le plus continu; et la colombe est un animal plein de douceur. Or, c’est sous ces deux qualités que notre Sauveur S’est présenté à nous, toute sa vie a été le modèle de la plus parfaite douceur, et comme la tourterelle il a attiré à Lui tout l’univers, en remplissant son jardin de ses célestes mélodies. On immolait donc une tourterelle ou une colombe en figure de Celui qui devait être immolé pour la vie du monde.» (saint Cyrille) 

L’évangile continue : «Et voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit saint était sur lui. Il avait été divinement averti par le saint Esprit qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu’ordonnait la loi, il le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit : Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, salut que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour éclairer les nations, et gloire d’Israël, ton peuple.» 

«Nous pouvons juger de là combien vifs et ardents étaient les désirs des saints du peuple d’Israël, pour voir le mystère de l’Incarnation du Sauveur,» dit saint Grégoire le Grand 

«Or l’avènement du Christ était ce mystère qui a été révélé dans les derniers temps, mais qui avait été préparé dès l’origine du monde, c’est pour cela que Siméon ajoute : Que tu as préparé devant la face de tous les peuples.» (saint Cyrille) 


Le cantique de Siméon se chante, ou se lit lors des vêpres.
«Son père et sa mère étaient dans l’admiration des choses qu’on disait de lui.» Prophétiquement, Siméon les bénit, et dit à Marie, sa mère : Voici, cet enfant est destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs en Israël, et à devenir un signe qui provoquera la contradiction, et à toi–même une épée te transpercera l’âme, afin que les pensées de beaucoup de cœurs soient dévoilées.» 

«Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge, et elle avait vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité. Restée veuve, et âgée de quatre vingt–quatre ans, elle ne quittait pas le temple, et elle servait Dieu nuit et jour dans le jeûne et dans la prière. Lorsqu’ils eurent accompli tout ce qu’ordonnait la loi du Seigneur, Joseph et Marie retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville. Étant survenue, elle aussi, à cette même heure, elle louait Dieu, et elle parlait de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.» (Luc 2,22-39) 

«L’Évangéliste entre dans tous les détails qui peuvent nous faire connaître cette sainte prophétesse, il nous dit quel était son père, sa tribu, et semble produire de nombreux témoins qui connaissaient son père et sa tribu.» (Théophilacte) 

L’évangile de la Présentation se termine ainsi : «Lorsqu’ils eurent accompli tout ce qu’or- donnait la loi du Seigneur, Joseph et Marie retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville.» (Luc 39,41) 

«Saint Luc omet ici ce qu’il savait avoir été raconté par saint Matthieu, c’est-à-dire, la fuite en Égypte, où les parents de l’enfant Jésus le transportèrent pour le dérober aux recherches homicides du roi Hérode; et après la mort de ce tyran, le retour en Galilée, dans la ville de Nazareth, où le Sauveur fixa son séjour,» selon Bède le Vénérable. 

Moi aussi, j’omets tant des choses à dire, après avoir fait parler les pères, dont je ne peux qu’admirer la sagesse, mais, hélas, jamais l’égaler ! 

a. Cassien 



Un nouveau bulletin est disponible.

samedi 5 février 2022

LE CHRIST SOUS UNE AUTRE FORME

    Lorsque le Christ ressuscité est apparu après sa Résurrection, ni les apôtres, ni les myrophores ne l’ont reconnu tout de suite. Ce n’est qu’après un certain signe que leurs yeux se sont ouverts. Luc dit, «leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.» (Luc 24,16) Plus loin : «Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent,» (Luc 24,31) quand, devant les disciples d’Emmaüs, il rompit le pain. 

Marc écrit : «Après cela, il apparut, sous une autre forme, à deux d’entre eux qui étaient en chemin pour aller à la campagne.» (Mc 15,12) 

«Ils le reconnurent non pas des yeux du corps, mais des yeux de l’âme,» dit saint Jean Chrysostome. 

Marie Madeleine «se retourna, et elle vit Jésus debout; mais elle ne savait pas que c’était Jésus.» (Jn 20,14) Après : «Elle, pensant que c’était le jardinier.» Ce n’est que quand «Jésus lui dit : Marie ! qu’elle se retourna, et lui dit en hébreu : Rabbouni ! c’est-à-dire, Maître !» (Jn 20,16) 

«Après l'avoir d'abord appelée de son nom de femme sans en avoir été reconnu, le Sauveur l'appelle par son nom propre : Jésus lui dit Marie, comme s'il lui disait : Reconnaissez celui qui vous reconnaît. Marie, en s'entendant appeler par son nom, reconnaît son divin Maître, car celui qu'elle cherchait extérieurement, était le même qui lui inspirait intérieurement le désir de le chercher : Elle, se retournant, lui dit : Rabboni, c'est-à-dire Maître.» (saint Grégoire) 

Lors de la pêche, «Jésus se trouva sur le rivage ; mais les disciples ne savaient pas que c’était Jésus.» (Jn 21,4) Ce n’est qu’après la pêche miraculeuse que «le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C’est le Seigneur !» (Jn 21,7) Et encore, aucun des autres apôtres «n’osait lui demander : Qui es-tu ? sachant que c’était le Seigneur.» (Jn 21,12) 

Revenons à Matthieu. Pendant que le Christ monta aux cieux «sur la montagne que Jésus leur avait désignée, ils le virent, ils se prosternèrent devant lui. Mais quelques-uns eurent des doutes.» (Mt 28,16-17) Ces quelques-uns eurent des doutes, pourquoi ? Du fait qu’ils ne Le voyaient plus comme avant, mais sous cette autre forme

Quand le Sauveur, «le premier de la semaine,» apparut aux disciples «les portes du lieu, où ils se trouvaient étant fermées», ils Le reconnurent lorsqu’Il «leur montra ses mains et son côté.» (Jn 20,20) Ce n’est donc qu’après qu'Il avait traversé les portes closes et montré ses stigmates, qu’ils L’ont reconnu. 

Thomas de même, ayant vu ses stigmates s’écria, effrayé : «Mon Seigneur et mon Dieu !» (Jn 20,28) Est-ce qu’il a finalement touché les plaies ? L’évangile n’en dit rien, mais il a reconnu qu’Il est vraiment Dieu. 

Voici ce qu’en disent les évangélistes, de l’autre forme, ou l'aspect, sous laquelle le Sauveur se montra après sa Résurrection. Il était toujours le même mais son Corps n’était plus sou- mis aux lois de la nature. Il pouvait traverser les portes closes, manger, sans être contraint par la nature, juste pour montrer qu’Il n’était pas un fantôme. «Il leur dit : Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi pareilles pensées s’élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi; touchez-moi et voyez : un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai. Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Comme, dans leur joie, ils ne croyaient point en- core, et qu’ils étaient dans l’étonnement, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel. Il en prit, et il mangea devant eux.» (Luc 24,39- 43) 

«Notre Seigneur s’exprime de la sorte pour nous donner une image de la résurrection ; en effet, ce qui peut se toucher, est nécessairement un corps, nous ressusciterons donc dans notre corps, la seule différence est qu’il sera subtil, tandis qu’il est maintenant épais et grossier, parce qu’il est composé d’éléments infirmes et terrestres. Ce n’est donc point en vertu de sa nature in- corporelle et divine, mais par suite des propriétés de son corps ressuscité, que Jésus-Christ a pénétré dans le cénacle, les portes demeurant fermées», dit saint Ambroise quelque part. Et saint Grégoire le Grand : «Lorsque notre corps aura part à la gloire de la résurrection, il ne sera pas im- palpable, ni plus subtil et plus délié que le vent ou l’air ; mais il sera tout à la fois subtil en vertu de sa nouvelle puissance spirituelle, et palpable par une conséquence de la nature corporelle.» 

«De même qu'il était quelquefois présent au milieu des Juifs, sans qu'il en fût reconnu, ainsi même en parlant, il ne se faisait connaître que lorsqu'il le voulait.» (saint Jean Chrysostome) 

Cela est bien clair aussi au jardin de Gethsémané, lors de la trahison de Judas : «Celui qui le livrait leur avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui; saisissez–le.» (Mt 26,47) Donc les Juifs ne l’avaient pas reconnu; uniquement Judas, selon la bonne volonté du Seigneur, afin d’être livré en vue de sa passion. 

Le Seigneur avait la faculté, déjà avant sa résurrection, de changer son aspect, pour ne pas être reconnu, mais, une fois ressuscité, sa forme fut pour toujours autre, comme ce sera aussi pour nous. 

Sous une autre forme, Jésus est apparu donc, mais toujours avec ses stigmates. Ils sont resté pour l’éternité, je pense, car ils sont les signes de sa victoire sur la mort et le diable. Voici ce qu’en dit Bède le Vénérable : «C’est donc par un dessein plein de miséricorde, que celui qui a triomphé de la mort n’a point voulu détruire les signes que la mort avait imprimés sur son corps : premièrement pour rendre plus ferme dans ses disciples la foi à sa résurrection ; secondement, afin qu’en intercédant pour nous près de son Père, il pût lui montrer toujours le genre de mort qu’il avait souffert pour le salut des hommes ; troisièmement, pour rappeler à ceux qu’il a rachetés par sa mort, quels secours miséricordieux il leur a aménagés en leur mettant sous les yeux les signes visibles de sa mort; quatrièmement enfin, pour faire comprendre aux impies, au jour du jugement, la justice de leur condamnation.» 

Avec ces stigmates le Christ est aussi représenté sur les icônes; le larron, par contre, sans ses plaies, car le Christ seul est vainqueur. 

Sur les icônes, – où le Seigneur est figuré après sa résurrection, – on Le représente généralement sous sa forme habituelle. On pourrait Le représenter aussi «sous une autre forme». D’ailleurs, il existe une icône, intitulé «sous une autre forme», (en grec : étera morphi). J’ai cette reproduction quelque part dans un de mes livres, mais où exactement... ? J’ai beau le chercher... 

archimandrite Cassien 

mardi 1 février 2022

CONCERNANT LES TRÔNES

 Des frères, qui avaient avec eux des séculiers, vinrent trouver l'abba Félix et lui demandèrent de leur dire un mot. Or le vieillard gardait le silence. Après qu'ils l’eurent supplié longtemps, il leur dit :  C'est une parole que vous voulez entendre ?  Ils lui dirent : Oui, abba. Alors le vieillard dit : A présent, il n'y a plus de parole. Quand les frères interrogeaient les vieillards et faisaient ce qu'ils disaient, Dieu inspirait la manière de parler. Mais maintenant, parce qu'on interroge et qu'on ne fait pas ce qu'on entend, Dieu a enlevé aux vieillards la grâce de la parole, et ils ne trouvent plus quoi dire, parce qu'il n'y a pas d'exécutant. Entendant ces paroles, les frères poussèrent des gémissements et dirent :  Prie pour nous, abba.

Voici une excuse et un prétexte pour ma lourdeur de parler et d’écrire, au lieu que ma langue soit comme la plume d’un habile écrivain ! (Ps 45,1)

En forçant un peu, j’arriverai peut-être, avec l’aide de Dieu, à écrire quelques mots compréhensibles et instructifs.

On m’a demandé récemment ce que sont les trônes, non les trônes sur lesquels on s’assoit, mais les trônes célestes.

Voici ce qu’en dit saint Denys l’Aréopage dans la Hiérarchie céleste :

«Ce ne sont ni des chars de feu qui roulent dans les cieux, ni des trônes matériels destinés à porter le Dieu des dieux,…» (chap. 2)

«La théologie a désigné par neuf appellations diverses toutes les natures angéliques, et notre divin initiateur les distribue en trois hiérarchies, dont chacune comprend trois ordres. Selon lui, la première environne toujours la divinité et s'attache indissolublement à elle d'une façon plus directe que les deux autres, l'Écriture témoignant d'une manière positive que les trônes et ces ordres auxquels on donne des yeux et des ailes, et que l'hébreu nomme chérubins et séraphins, sont immédiatement placés auprès de Dieu et moins séparés de lui que le reste des esprits.» (chap. 6)

«Le nom des nobles et augustes trônes signifie qu'ils sont complètement affranchis des humiliantes passions de la terre; qu'ils aspirent, dans leur essor sublime et constant, à laisser loin au-dessous d'eux tout ce qui est vil et bas – qu'ils sont unis au Très-Haut de toutes leurs forces avec une admirable fixité – qu'ils reçoivent d'un esprit pur et impassible les douces visites de la divinité; qu'ils portent Dieu, en quelque manière, et s'inclinent avec un frémissement respectueux devant ses saintes communications.» (chap. 7)

Plus loin : «Le premier rang des hiérarchies célestes possède donc à un plus haut degré que tous les autres et une dévorante ardeur, et une large part dans les trésors de la sagesse infinie, et la savante et sublime expérience des mystères sacrés, et cette propriété des trônes qui annonce une intelligence toujours préparée aux visites de la divinité.» (chap. 13)

Concernant les trônes sur lesquels Dieu est assis, il écrit dans une lettre à Tite : «En ce qui concerne les providences intelligibles de Dieu, ses dons, ses apparitions, ses puissances, ses propriétés, ses repos, ses demeures, ses procès, ses distinctions, ses unions, on les représente par une variété de figures, soit anthropomorphiques, soit animales (qu'il s'agisse de bêtes sauvages ou domestiques), soit végétales, soit minérales. On revêt Dieu d'ornements féminins ou d'équipements barbares. On lui attribue, comme à un artisan, les attributs du potier ou du fondeur. On le place sur des chevaux, sur des chars, sur des trônes. On organise pour lui des festins agrémentés de raffinements culinaires. On le présente en train de boire, de se griser, de s'endormir, de se conduire comme un vulgaire ivrogne.»

Saint Ignace Briantchaninov écrit, dans son traité sur les anges : «Selon la vision du saint prophète Isaïe, ce sont les séraphins aux six ailes qui sont les plus proches du trône de Dieu : Je vis le Seigneur, assis sur un trône grandiose et très élevé, et sa traîne emplissait le sanctuaire. Les séraphins qui se tenaient au-dessus de Lui avaient chacun six ailes, deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler.»

Plus loin : «La demeure des anges se trouve être le ciel, et particulièrement le troisième ciel où les anges les plus élevés se tiennent devant le trône de Dieu, entourés de l’innombrable armée céleste.»

Aussi bien ce qui est dit des anges en général ou des trônes angéliques, de même que des trônes sur lesquels Dieu s’assoit, on s’exprime d’une manière figurative, car incompréhensible pour les hommes encore dans la chair.

166 fois l’Écriture parle des trônes, le plus souvent, il s’agit simplement du trône d’un roi terrestre, parfois de l’ordre angélique et parfois du trône sur lequel le Seigneur est assis.

Du roi David, par exemple est dit : «Ce sera lui qui bâtira une maison à mon nom, et j’affermirai pour toujours le trône de son royaume.» (II Sam 7,13) «Le roi fit un grand trône d’ivoire, et le couvrit d’or pur.» (I R 10,18)

De Dieu : «J’ai vu l’Eternel assis sur son trône, et toute l’armée des cieux se tenant auprès de lui, à sa droite et à sa gauche.» (I R 22,19) Job dit : «Oh ! si je savais où le trouver, si je pouvais arriver jusqu’à son trône,…» (23,3) «L’Eternel est dans son saint temple, l’Eternel a son trône dans les cieux; ses yeux regardent, ses paupières sondent les fils de l’homme.» (Ps 11,4)

Concernant les trônes angéliques : «Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités. Tout a été créé par lui et pour lui.» (Col 1,16)

Encore une fois : Quand il s'agit des réalités célestes, tout est exprimé de manière figurative ou symbolique, et quand les anges se font voir aux hommes, en vision ou directement, ils empruntent une forme humaine, car ils sont de purs esprits que l’oeil humain ne peut voir. Les démons – anges déchus – font de même, mais de façon maladroite, n’ayant plus la grâce d’avant leur chute. On les représente alors avec des cornes et une queue. 

Saint Ignace dit d’eux : «Cependant, tous les anges n’ont pas gardé leur dignité originelle. Nombreux furent ceux qui chutèrent. Nous les connaissons maintenant sous les noms horribles de Satan, diable, démons, anges des ténèbres et anges déchus.»

Espérons que le Seigneur nous accordera un jour d’être en compagnie des anges et nous épargne de voir et dans cette vie et dans l’autre les anges apostats !


a. Cassien