samedi 15 novembre 2014

HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE DE LUC


Il y avait un homme riche, qui s'habillait de pourpre et de lin et qui faisait chaque jour une chère splendide. Et il y avait aussi un pauvre, du nom de Lazare, qui était couché à sa porte, tout couvert d'ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche mais c'étaient les chiens qui venaient lécher ses ulcères. Or il arriva que le pauvre mourut, et qu'il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. La riche mourut aussi et on l'ensevelit. Et dans l'enfer, étant dans les tourments, il leva les yeux et vit de loin Abraham et Lazare dans son sein. Et il s'écria : Abraham, mon père, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour rafraichir ma langue parce que je souffre beaucoup dans ces tourments. Mais Abraham lui répondit : Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie et de même Lazare a reçu ses maux. C'est pourquoi maintenant il est ici, consolé, et toi tu es dans les tourments. Et à tous ces faits s'ajoute qu'il a été établi entre vous et nous un abîme profond, afin que ceux qui veulent vous rejoindre ne le puissent, non plus que ceux qui veulent aller à nous. Alors le riche répondit : Père, je te demande alors d'envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j'ai cinq frères, pour que Lazare leur porte témoignage, afin qu'ils ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de tourments. Mais Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les prophètes. Qu'ils les écoutent ! Le riche reprit : Non, Abraham, mon père, mais si quelqu'un d'entre les morts va chez eux, ils se convertiront. Alors Abraham répondit : s'ils n'écoutent pas Moïse ni les prophètes, même si quelqu'un d'entre les morts ressuscite, ils ne croiront point. (Luc 16,19-31)

L’évangile d’aujourd’hui est simple à comprendre mais riche d’enseignements.
Commençons avec la description du pauvre. (On dirait aujourd’hui : un « sans dents »). Il était pauvre en bien matériels, ces biens qui constituent la richesse selon ce monde. Dans l’autre vie, ce ne sera pas le bien matériel qui sera notre richesse – notre avoir matériel - mais notre être, c’est-à-dire ce que nous portons en nous mêmes comme richesse.
Ce pauvre s’appelait Lazare. «Le mot Lazare signifie qui est secouru; en effet, il était pauvre et il avait Dieu pour soutien.» (saint Jean Chrysostome) Il était couché, non assis, à cause de ses souffrances, devant la porte du riche, espérant qu’on lui  donnerait au moins ce qui tombait de la table du festin quotidien. En plus de sa pauvreté, s’ajoutait donc la déception et finalement la maladie. Les chiens, attirés par le sang qui coulait de ses ulcères, venaient le lécher. Il paraît, selon une tradition juive, que ce Lazare vivait effectivement au temps du Christ. C’est donc une parabole basée sur des faits historiques. Voilà le tableau que ce pauvre nous offre. Il subit toute la misère de ce monde, tel le vieux Job autrefois, mais il reçut aussi le même salaire dans le sein d’Abraham. «Le sein d’Abraham, c’est le paradis.» (saint Jean Chrysostome)
Voyons maintenant ce riche, dont on ignore le nom même. Il était sans pitié et avait tout ce que cette vie offre comme biens matériels. En  plus de ses habits splendides, il festoyait chaque jour.  Ce n’est pas cette richesse en elle-même qui le condamnait, mais sa cruauté en face du pauvre qu’il voyait chaque jour devant sa porte. «S’il souffre de si cruels tourments, ce n’est point parce qu’il était riche, mais parce qu’il a été sans pitié.» (saint Jean Chrysostome; hom. 2, sur l’Epît. aux Philipp.) Il était donc riche selon ce monde mais pauvre selon Dieu, et c’est donc dans l’autre vie que les rôles furent inversés. 
De même que le pauvre ne reçut même pas une miette dans cette vie, de même le riche ne reçut pas une goutte d’eau dans l’autre vie. Consolé dans cette vie, il souffre dans l’autre, contrairement au pauvre. C’est juste la durée qui fait la différence : le bonheur du riche était passager et son malheur éternel, tandis que c’est le contraire pour Lazare. Sans souffrance il n’y a pas de bonheur, à cause du péché qui a introduit la souffrance et la mort.
Le riche supplia pour ses frères. C’est la chair qui l’y poussait et non la miséricorde pour le prochain, sinon il aurait fait cette demande pour tous les humains. Un sentiment stérile qui ne fut exaucé et qui n’aurait rien servit selon Abraham : «s'ils n'écoutent pas Moïse ni les prophètes…»
La mort est le lot de chacun, et du riche et du pauvre; personne n’y échappe. Ce qui vient ensuite diffère pourtant pour chacun. Lazare fut porté par les anges dans le paradis et le riche fut entraîné par les démons aux enfers. Entre les deux mondes, il y a un abîme, dit l’évangile, un abîme infranchissable et définitif. Origène, avec son apocatastase, selon laquelle tout le monde sera finalement sauvé, fut condamné par l’Église, et cet évangile démontre bien l’erreur de cette soi-disant restauration finale. Qui sera condamné ? Dieu seul en jugera. C’est pourquoi l’évangile ne donne pas de nom au mauvais riche.
Il me semble que nous avons tous un peu du pauvre Lazare avec nos souffrances, mais hélas aussi du mauvais riche à cause de notre égocentrisme. La balance penchera pourtant, au dernier Jugement, soit d’un côté soit de l’autre, comme l’explique bien cette parabole. Alors profitons de cet enseignement pendant que nous sommes encore dans cette vie, et ne comptons pas uniquement sur la Miséricorde du Seigneur !

archimandrite Cassien 



La balance où l'on pèse les mérites de chacun de nous est suspendue, et nos bonnes oeuvres et nos crimes sont comme un petit grain qui la fait souvent pencher tantôt d’un côté, tantôt de l'autre. Encore une fois, malheur à moi si les péchés l’emportent ! si ce sont les bonnes actions, ma grâce est assurée. Personne en effet n'est exempt de péché; mais dès que c'est la somme du bien qui est plus lourde, les fautes sont allégées, elles s'effacent comme cachées sous un voile. Ainsi donc, au jour du jugement, nos œuvres nous serviront de secours et d’appui ou nous précipiteront dans l'abîme, au fond duquel nous serons attirés comme par une pierre de meule; car l'iniquité est massive et lourde comme un bloc de plomb, et l'avarice et l'orgueil sont accablants. 

saint Ambroise de Milan (lettre à Constance)


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il existe un très vieux proverbe hongrois: "Aki pénteken nevet, vasárnap sírni fog" (Qui rit vendredi pleurera dimanche), dont aujourd'hui la plupart des gens sourient, pensant que c'est une simple superstition.
Or, je crois fermement que le vendredi symbolise ici le temps du repentir, de la souffrance aussi, c'est-à-dire toute notre vie ici-bas, et le dimanche : la vie future, éternelle.
Je pense que pour tout chrétien orthodoxe, le sens de ce proverbe est clair comme le jour.
Seigneur Christ, donne-moi de pleurer vendredi.
K.