samedi 1 juin 2013

HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DE LA SAMARITAINE


L’évangile d’aujourd’hui est plein de sens et riche de détails. Essayons de l’expliquer en les prenant un par un, non en entier – l’Esprit saint seul le peut – mais selon nos faibles lumières.
«Jésus arriva dans une ville de Samarie nommée Sichar, près de la terre que Jacob avait donnée à son fils Joseph. Et là se trouvait le puits de Jacob.» Saint Jean Chrysostome nous aide d’expliquer ce passage : «C'était le lieu où Lévi et Siméon se vengèrent d'une manière sanglante de l'outrage fait à Dina, leur sœur. (Gn 34) Après que les fils de Jacob eurent rendu cette ville déserte par le meurtre des Sichimites, le patriarche la donna par la suite en héritage à son fils Joseph; c'est à cette donation qu'il faisait allusion lorsqu'il lui dit : Je te donnerai de plus qu'à tes frères la part de mon héritage que j'ai conquise par mon glaive et par mon arc de la main des Amorrhéens, (Gn 48) et que l'évangéliste rappelle en ces termes : Près de l'héritage que Jacob donna à son fils Joseph
C’est donc un lieu historique, qui n’appartenait plus au peuple juif mais aux Samaritains depuis la déportation à Babylone. Voici ce qu’en dit encore le même saint : «Dans la suite des temps, ils transgressèrent les lois de Dieu, le roi d'Assyrie ne voulut plus les laisser dans leur pays, il les emmena à Babylone et dans la Médie, et le repeupla de colons tirés de diverses provinces assyriennes. Mais Dieu voulant prouver que ce n'était point par impuissance qu'il avait livré les Juifs aux mains de leurs ennemis, mais pour les punir de leurs crimes, envoya contre ces peuples barbares et idolâtres des lions qui dévastaient le pays. Le roi d'Assyrie, en ayant été instruit, leur envoya un prêtre Israélite pour leur enseigner le culte et les lois du Dieu des Juifs. Toutefois ils ne renoncèrent pas entièrement à leur impiété, et ils revinrent insensiblement au culte des idoles, ils y mêlaient cependant le culte du vrai Dieu. Ils prirent le nom de Samaritains, de la montagne même de Samarie.»
Pour aller de Judée en Galilée, il fallait que le Christ passe par la Samarie, qui est située entre ces deux pays. Une nécessité, liée à l’Incarnation du Sauveur et qui s’inscrit dans l’économie du plan de Dieu. L’Humanité de Jésus a assumé toutes les faiblesses que le péché a entraînées, comme nous allons voir par la suite du récit. 

« Nous avons trouvé Jésus à la fois plein de force et de faiblesse; plein de force, parce qu'il est le Verbe qui était au commencement; plein de faiblesse, parce que le Verbe s'est fait chair,» dit le vénérable Augustin (Traité 15)
«Jésus, fatigué de la route, s'était assis sur le rebord du puits.» La chaleur et la marche en plein soleil, car «c'était environ la sixième heure du jour,» donc vers midi, ont fatigué le Christ, «fatigué des infirmités naturelles à la chair,» dit le même Augustin. C’est donc naturellement qu’il eut soif et cette soif lui servit de prétexte pour entrer en conversation avec la Samaritaine. Cela montre que même ce qui nous semble mal peut concourir au bien, comme ce qui est bien en soi, peut nous entraîner au mal. 
«Donne-moi à boire,» demanda-t-il à cette femme qui venait puiser de l’eau. Il n’avait pas de cruche, comme le fit remarquer la femme, et la demande n’était donc pas paradoxale mais posait un problème : Les juifs considéraient les Samaritains comme impurs. «Depuis le retour de la captivité, les Juifs étaient en garde contre les Samaritains et les regardaient comme des étrangers et des ennemis, car ils ne recevaient pas toutes les Ecritures, et n'admettaient que le livre de Moïse, sans tenir beaucoup de compte des prophètes,» (saint Jean Chrysostome homélie 31) Pourtant pour celui qui est pur, tout est pur, comme dit l’Écriture. Elle, pourtant, aveuglée par ses péchés, dont nous en parlerons plus loin, s’étonna et demanda : «Comment toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi une Samaritaine ?»
Au lieu de rester à ce niveau, terre à terre, le Christ l’emmena sur un niveau spirituel et lui parla des dons de Dieu, de l’eau vive et de la vie éternelle. Elle, pourtant, avait du mal à s’élever à ce niveau et ne comprit pas le sens de ses paroles. Combien  de fois, le Christ fit la même expérience avec ses disciples ? Quand il leur parla, par exemple, du levain des Pharisiens, ou de ce qui entre dans la bouche et ne rend pas l’homme impur mais ce qui en sort. (Mt 15,18) Plus loin, dans cet évangile d’aujourd’hui, nous le voyons, quand Jésus leur dit : «J'ai pour me nourrir un aliment que vous ne connaissez pas.» Alors «les disciples se demandaient entre eux : Quelqu'un lui aurait-il porté à manger ?» – «Jésus leur dit : Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre.» Est-ce que ses parents déjà n’avaient pas de la peine à saisir le sens de ses paroles ? Quand ils le cherchèrent dans le Temple «il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. … Sa mère gardait toutes ces choses dans son coeur.» (Lc 2,49-51)
Revenons : Cela explique aussi pourquoi le Seigneur, qui est seul sans péché, pouvait demander de l’eau à cette femme. L’impureté est en nous, dans nos mauvais pensées et nos intentions corrompues et non dans les objets et les personnes en face. Plus loin nous voyons que les disciples s’étonnèrent que le Seigneur parle avec cette femme : «Ils étaient surpris de le voir parler à une femme. Pourtant nul ne lui dit : Que lui demandes-tu ? ou : Pourquoi lui parles-tu ?» Eux aussi étaient encore tout charnels.
Jésus va donc faire un pas de plus pour ouvrir les yeux spirituels de cette femme et lui dit : «Va, appelle ton mari et reviens ici.» Il l’a poussa d’abord à avouer ses concubinages illicites, et par ses dons prophétiques lui fit enfin saisir qu’il est plus qu’un simple homme mais le Messie, que eux aussi, les Samaritains, attendaient. «Tu n'as pas de mari, car tu en as eu cinq, et celui que tu as actuellement n'est pas ton mari; en cela tu as dit vrai !» Là enfin la Samaritaine commença à comprendre : «Seigneur, je vois que tu es un prophète.»
Ces cinq maris, on peut le comprendre dans un sens allégorique pour les cinq livres de Moïse auxquels les Samaritains croyaient en rejetant les prophètes, ce qui corrompait leur croyance, comme le concubinage qui n’a rien à voir avec le mariage licite.
Poursuivons. La femme parle ensuite de la montagne de Garizim, lieu saint pour les Samaritains, comme la montagne de Sion était sacrée pour les Juifs. Jesus lui dit alors : «Femme, crois-moi, bientôt ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père … Mais l'heure vient, et nous y sommes, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité.»
«Il faut adorer en vérité, parce que les rites et les cérémonies de l'ancienne loi n'étaient que des figures, par exemple, la circoncision, les holocaustes et les oblations d'encens; maintenant au contraire tout est vérité,» dit encore le grand Chrysostome. (hom. 33)
Beaucoup de questions restent encore à creuser dans cet évangile si riche, par exemple : Est-ce que cette femme a finalement puisé de l’eau, ou le Seigneur resta-t-il sur sa soif, où mangea-t-il quand les disciples lui dirent : «Maître, mange ?»  
Je veux encore répondre à ces questions mais je ne le peux que par hypothèse en non affirmativement. Il est probable qu’elle ne puisa pas de l’eau pour faire boire le Christ. Un peu comme cette servante qui oublia d’ouvrir à l’apôtre Pierre. «… et, dans sa joie, au lieu d’ouvrir, elle courut annoncer que Pierre était devant la porte.» (Ac 12,14) Le Maître a probablement mangé avec ses disciples afin de satisfaire ses besoins naturels, qu’il a assumés dans son abaissement, car il n’était pas un «super-homme» mais le Dieu-homme.
Je passe outre le reste des questions, pour ne pas trop fatiguer vos oreilles, et je vous laisse ruminer aussi un peu cette nourriture spirituelle si riche.
Je veux juste ajouter que cette femme samaritaine devint par la suite une sainte : sainte Photinie la Samaritaine.

Archimandrite Cassien

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